Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 9.djvu/347

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et septembre, sont des vents très humides : ils amènent toujours avec eux des brumes sur les terres, et ces brumes deviennent d’autant plus épaisses que la brise est plus fraîche. Les rosées abondantes, la brume sur les terres et principalement des pannes de brume qui se forment sur le sommet du morne de Gibraltar et sur celui du Mont-aux-Singes ou sur le flanc de cette montagne, sont les indices à peu près certains de la venue des vents d’Est,


Ce Mont-aux-Singes, dont la tête se cache dans les brumes du ciel, est « la Colonne du Ciel, » comme disent les indigènes, « le Pilier, » atlas, comme disent les Hellènes. Le personnage d’Atlas, n’est qu’un nom commun personnifié. Dans la langue des Ioniens, atlas est le portant (cf. le verbe τλάω, je porte). C’est un synonyme de telamon, un équivalent de kion, qui tous deux désignent des supports d’une forme particulière. Le légendaire Atlas se nomme aussi Télamon. Dans les inscriptions du Pont-Euxin, telamon est employé couramment aux lieu et place de colonne : ϰίων ou στήλη, diraient les autres Grecs. Le commerce ionien qui avait transporté le mot dans ces colonies milésiennes de la Mer-Noire, le fit prévaloir aussi dans les colonies de la Grande-Grèce et, par elles, dans toute l’Italie : les architectes romains appellent telamones les supports à figure humaine que les Hellènes nomment atlantes. Atlas n’est donc bien que le Pilier, et ce Pilier, c’est notre Mont-aux-Singes. Venus de l’Orient, les navigateurs de la Méditerranée primitive ne pouvaient enfiler le détroit que par le vent d’Est. Ils ne naviguaient d’ailleurs que pendant les mois d’été où ce vent domine et « amène des brumes sur les terres. » Ils n’apercevaient donc les deux sommets du Mont-aux-Singes que perdus dans la brume et couronnés d’un chapiteau de nues, sur lequel reposait le ciel. On comprend mieux alors la phrase d’Hérodote : la montagne est, dit-on, si haute que jamais on n’en peut voir les sommets. Le phénomène devait paraître d’autant plus étrange à ces navigateurs orientaux que leurs montagnes à eux peuvent durant l’hiver s’encapuchonner de nuages, mais dès que l’été revient et tant que l’été dure, sauf quelques orages, leurs sommets étincellent dans les cieux dégagés. Ici, c’est été comme hiver, c’est même été plus qu’hiver, que le mont s’enveloppe : « jamais, été comme hiver, les brumes ne l’abandonnent. » Pour illustrer ce texte d’Hérodote, les Instructions nautiques américaines donnent à leurs pilotes une vue des portes du détroit : presque au ras des flots, Gibraltar et Ceuta se profilent sur le ciel clair ; mais, au second plan, le Mont-aux-Singes