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précise de tous les mots du poète. Quand, autour de la grotte du Kyklope, le poète nous décrit le rond de plus et d’arbres à la haute chevelure, les photographies nous montrent qu’en réalité, actuellement encore, les rivages du Kyklope et la grotte elle-même (car elle existe telle que le poète nous la décrit) sont ombragés de grands chênes et de pins-parasols, d’arbres à la haute frondaison, tout différens des chênes verts et des plus rabougris qui bordent les mers helléniques. Quand le poète nous dépeint les inquiétudes de Télémaque rentrant par mer du Péloponnèse et craignant d’échouer ou de périr sur les Iles Pointues, nous ne pouvons rien comprendre à ces vers, nous ne pouvons même pas découvrir le gîte de ces Iles Pointues (et l’exemple de Strabon, comme celui de tous les commentateurs anciens et modernes, est là pour nous avertir), si nous ne consultons pas quelque carte marine. Mais prenez une carte marine et les Instructions du canal de Zante : entre les côtes éléennes, que vient de quitter le fils d’Ulysse, et son île d’Ithaque, ce canal offre un danger que la carte et les Instructions signalent soigneusement. C’est, en pleine mer, un archipel d’écueils, les uns à peine émergés, les autres couverts d’eau, que les navigateurs redoutent, le groupe des Roches Montague ou Monte-Acuto, du Mont Pointu : « ce dangereux plateau de roches, disent les Instructions, s’étend sur l’espace d’un mille et comprend quatre pâtés distincts ; un navire à voiles devra tourner ces dangers à bonne distance ; par des vents faibles ou par calme, il pourrait être drossé par le courant, qui, par les vents du Sud, est fort dans leur voisinage. » Voilà les Iles Pointues du poète, et les Instructions ne font que répéter en prose ce qu’il nous dit en vers : poussé « par la brise favorable de Zeus, » par le vent du Sud, Télémaque craint d’être drossé par le courant et de perdre la vie ou son bateau sur ces aiguilles de roches.

W. Helbig a donc cent fois raison de protester contre les gens qui ne tiennent pas un compte rigoureux de tous les mots du texte : « Les épithètes homériques, dit-il, traduisent la qualité essentielle de l’objet qu’elles doivent caractériser. » Ce ne sont pas des épithètes poétiques que l’on peut traduire ou négliger, selon la fantaisie du moment. Il faut suivre la méthode des Plus Homériques. J’ai refait moi-même (mars-juin 1901) le voyage d’Ulysse ; j’ai soigneusement noté l’aspect des lieux, la disposition et le caractère des sites ; j’ai pris les photographies et