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à de Pierre, afin sans doute qu’il me le répétât : « M. Emile Ollivier n’est pas, comme on a voulu me le faire croire, un ambitieux ; il suffit de le voir un instant pour être sûr que ce n’est qu’un honnête homme, un homme convaincu. Morny avait raison. »

De mon côté, voici ce que j’écrivis sur mon journal : « J’ai été charmé par l’Empereur. Il a été gai, ouvert, aisément rieur, d’une simplicité qui met à l’aise, pas bavard certainement, mais agréablement causeur. Son œil est vif, fin, caressant. L’apparence est froide, toutefois sans raideur, et l’on sent une nature délicate, féminine. Je ne crois pas qu’on l’enlève d’assaut : les brouillons et les systématiques ne doivent pas avoir prise sur lui, il me semble que c’est par l’insinuation lente, douce et souple qu’on le persuade. Il m’a paru aussi qu’il devait être très défiant par excès de confiance, et ceci n’est pas paradoxal : je suppose que, lorsqu’il a confiance en quelqu’un, il se fie facilement à ses assertions, mais que, comme il a été souvent trompé, il doit hésiter à accorder sa confiance. Sa santé m’a paru bonne, cependant, par éclairs, sous la forme aimable, j’ai senti la lassitude du puissant blasé sur les hommes et sur les choses. Il ne reculera certainement pas, mais il ne se jettera pas en avant ; s’il avance, ce sera pas à pas ; nous n’en sommes pas encore au couronnement de l’édifice. »

Les premières impressions, pour qui sait observer, sont toujours les meilleures. Les sentimens réciproques conçus à cette première entrevue, malgré les intrigues, les dissentimens, et parfois même les hostilités apparentes, ne se sont jamais altérés : il s’y est seulement ajouté une nuance d’affection. Ils ont survécu aux malheurs, et malgré les douloureux devoirs que m’impose parfois l’impartialité historique, mes lecteurs ont pu se convaincre qu’ils sont toujours vivans en moi comme ils l’ont été chez l’Empereur jusqu’à son dernier jour.


XIII

La délibération sur les jeunes détenus de la Roquette devint orageuse. L’Impératrice fit éloquemment valoir les raisons d’humanité qui militaient contre ce régime cruel imposé à des enfans, même coupables. Le procureur général Marnas et Mathieu