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les arbres de la liberté, et on en distribue le bois aux pauvres ; 2° tous nos honorables collègues ont signé une adhésion au 2 décembre. Croirais-tu que la plupart sont républicains et le disent. — J’ai vu que Fillias[1] et Challemel-Lacour sont mis en disponibilité. Est-ce pour avoir refusé de signer ? Ce serait un présage. Alors j’irais l’embrasser et travailler avec toi à Paris.

Dis à Ponsot[2] que je lui répondrai sous peu. Qu’il fasse de la médecine, bon Dieu ! L’heureux homme, il sera indépendant et se débarbouillera de sa psychologie officielle.

La psychologie vraie et libre est une science magnifique sur laquelle se fonde la philosophie de l’histoire, qui vivifie la physiologie et ouvre la métaphysique. J’y ai trouvé beaucoup de choses depuis trois mois et j’ai lu deux volumes de Hegel ; jamais je n’avais tant marché en philosophie. Et quitter ! aligner des hémistiches, et trembler devant un barbarisme ! Ah ! mon ami, quelle misère que d’avoir un estomac ! — Dis donc à Suckau d’aller voir à la galerie d’Apollon le grand tableau de Delacroix[3]. On m’en parle avec enthousiasme. Je n’ai pas pu aller vous voir, n’ayant que trois jours de congé.


A M. Ernest Havet[4].


Nevers, 21 mars 18.’J2.

Quelle obligeance à vous, Monsieur, de vous souvenir d’un élève que vous avez connu trois mois à l’Ecole normale ! Ici je suis comme mort ; plus de conversation, ni de pensée ; il me semble qu’il y a dix ans que j’ai quitté Paris. Votre livre[5] vient de me rendre pour une journée à la vie et au monde. Ce sont bien là les questions que nous avons tant agitées dans la chère patrie de l’Intelligence, pendant les trois ans où il nous a été permis de penser et de discuter. Ce sont là les livres nécessaires ; c’est faire œuvre politique et travail de convertisseur, que les

  1. Fillias (Jean-François-Victor-Henry), né en 1827, élève de l’EcoIe normale en 1847, mort en 1839.
  2. Ponsot (Francis), né en 1829, entré à l’École normale en 1849, mort professeur au lycée de Nice en 1868.
  3. Delacroix (Ferdinand-Victor-Eugène), membre de l’Institut, né en 1798, mort en 1863. Il s’agit sans doute du plafond de la galerie d’Apollon.
  4. Havet (Ernest-Auguste-Eugène), membre de l’Institut, né en 1813, entre à l’École normale en 1832, mort en 1889.
  5. Les Pensées de Pascal.