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minorité d’électeurs, — on a vu que la proportion des favorisés était de 38 pour 100 en Belgique, — et il choque par là cet instinct d’égalité qui, dans les démocraties, devient chaque jour plus exigeant. La campagne menée contre lui en Belgique a donc eu un assez grand retentissement.

Les libéraux et les socialistes, qui s’étaient entendus pour la diriger, avaient pris l’engagement, dit-on, de ne procéder que par les voies légales et de ne jamais employer la violence. Ils étaient sincères, nous voulons le croire ; mais notre propre expérience, ou plutôt celle de nos devanciers en 1848, nous a appris qu’en criant trop fort : Vive la réforme ! on risque de voir accourir la Révolution. De même, en criant : Vive la révision ! en Belgique, on a vu tout à coup apparaître l’émeute, et elle a même pris tout de suite la forme la plus brutale et la plus lâche, car c’est contre de pauvres sergens de ville qu’elle s’est tournée avec une véritable férocité. Les premiers cadavres qui sont tombés sur le pavé de Bruxelles, où ils ont été indignement foulés aux pieds, sont ceux de ces modestes défenseurs de l’autorité. On ne peut toutefois en rendre aucun parti responsable, car tous ont désavoué les violences commises et ont recommandé à leurs adhérons le calme et la modération : mais il ne sert pas toujours à grand’chose de recommander ces belles qualités morales à une foule qu’on a eu le tort d’exciter et de déchaîner. Les socialistes belges ont pu s’en apercevoir. Le sang appelle le sang, et il n’a bientôt que trop abondamment coulé à Bruxelles. Pendant quarante-huit heures, on s’est demandé avec angoisse ce qui allait arriver. Les pronostics étaient très sombres. Ils l’étaient à l’excès, car l’ordre n’a pas tardé à être complètement rétabli, le gouvernement ayant fait preuve de présence d’esprit et de vigueur. On a parlé un moment d’une révolution possible, et il n’y a eu en somme qu’une échauffourée. Le parti libéral a profité de la leçon. Il a condamné très hautement le recours à la force, et cela a jeté quelque froid entre lui et les socialistes. Il est vrai que ceux-ci ont protesté de leur côté qu’ils n’étaient pour rien dans ce qui s’était passé : ils en ont rejeté la responsabilité sur les anarchistes. Cependant, ni les uns ni les autres n’ont renoncé à user du désordre de la rue, de l’inquiétude des esprits, de l’émeute toujours frémissante quoique momentanément arrêtée, pour exercer une influence sur les déterminations du gouvernement et du parlement. Ils demandaient que le ministère s’en allât, et que le parlement fût dissous, non sans avoir pris toutefois en considération une proposition révisionniste. Le gouvernement et le parlement n’ont tenu aucun compte