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suivaient l’expérience, lorsqu’on a appris que l’émeute avait éclaté dans les rues de Bruxelles, et qu’elle s’était donné pour but de poursuivre, de revendiquer, d’exiger la réalisation du suffrage universel pur et simple. Les Belges feraient alors l’expérience que nous avons déjà faite. Nous ne savons pas s’ils en tireraient tous les avantages qu’en attendent les partis avancés ; mais ils en deviendraient pour nous moins intéressans.

L’impatience qu’éprouvent le parti libéral et le parti socialiste belges s’explique d’ailleurs par le fait que ni l’un ni l’autre n’aperçoit le moyen d’arriver de si tôt au pouvoir avec le régime actuel. Les partis se contentent d’user des moyens d’action que leur donnent la Constitution et la loi aussi longtemps qu’ils espèrent finir par accéder ainsi au gouvernement ; mais, s’ils en désespèrent, et si une génération tout entière se voit ou se croit exclue définitivement des affaires, l’opposition change de caractère ; elle demande à grands cris la réforme comme on faisait chez nous en 1848, où le ministère Guizot avait trop duré et menaçait de durer encore longtemps ; et la révision, comme on le faisait hier en Belgique où le gouvernement des catholiques dure depuis dix-huit ans et menace de s’éterniser. Plusieurs causes ont amené, il y a quelques années, la disparition presque complète du parti libéral. Dans le nombre, l’opposition qu’a faite autrefois ce parti aux réformes électorales a contribué pour beaucoup à son effondrement. Le parti catholique a eu alors une vue plus juste de ce que la situation imposait. C’est M. Beernaert, nous le rappelions il y a un moment, qui a organisé le suffrage universel, ou du moins qui y a contribué pour une part prépondérante, et c’est encore lui qui a voulu introduire dans la loi électorale la représentation proportionnelle. Il est tombé du pouvoir parce qu’on l’en a empêché ; mais son idée a triomphé après sa chute, et il a eu la satisfaction de la voir réalisée par quelques-uns de ceux qui l’avaient combattue. Les libéraux, au contraire, ont mis longtemps à accepter le suffrage universel, même avec le vote plural. Leur popularité en a souffert. La Chambre des représentans se renouvelle partiellement tous les deux ans. Les élections de 1896 et de 1898 ont accentué à un tel point la décadence du parti libéral qu’il a été en quelque sorte exterminé. Sur 152 représentans que compte la Chambre, le parti catholique en a eu 112 à lui seul ; les socialistes en ont eu 28 et les libéraux 12. On le voit, l’éclipse du parti a été alors presque totale, et, si elle s’explique par ses fautes, elle n’en a pas moins été déplorable. Il est déplorable, en effet, pour une Chambre d’être partagée en deux fractions si inégales que la majorité