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supérieur ou moyen, ou avoir rempli pendant un minimum de cinq années certaines fonctions publiques démocratiquement étendues jusqu’à celles d’instituteur. Nous empruntons ces détails à l’ouvrage que M. Lefèvre-Pontalis vient de publier sur les Élections en Europe à la fin du XIXe siècle. Ainsi le système belge se résume comme il suit : tout le monde vote ; néanmoins les uns n’ont qu’une voix, les autres deux, les autres trois. Les premiers sont 889 715, les seconds 300053, les troisièmes 228 712. La moyenne des électeurs pluraux est donc de 38 pour 100.

On ne saurait dire que ce système soit antidémocratique. Ceux qui considèrent le suffrage universel comme une matière brute, nécessairement inorganique, et qui perd son caractère dès qu’on cherche à l’organiser, peuvent l’attaquer ; les autres doivent reconnaître qu’il y a eu là une tentative conçue et exécutée dans un esprit très large, et en somme très libéral. En tout cas, il y a eu un immense progrès sur le passé. Quel a été le principe de la réforme ? On a considéré que tout citoyen avait un intérêt dans la société politique, et devait par conséquent avoir le moyen de le défendre ; tout citoyen a donc eu un vote. Mais cet intérêt est-il le même pour chacun d’eux ? Est-il le même pour le père de famille et pour le célibataire ? Est-il égal pour celui qui possède et pour celui qui n’a rien ? Est-il aussi bien compris par celui qui est éclairé et instruit que par celui qui ne sait ni lire ni écrire ?

Ces questions, que nos devanciers ne se sont même pas posées en 1848, la législation belge a essayé de les résoudre équitablement, et quand bien même elle n’y serait pas absolument parvenue, encore faudrait-il lui tenir compte du mérite et de la sincérité de son effort. Elle a attribué trois votes aux censitaires, soit : on peut faire là-dessus beaucoup de phrases pour réclamer l’égalité du pauvre et du riche, et nous serions les premiers à protester si les riches seuls profitaient de cet avantage. Mais on l’étend à tous ceux qui font preuve de quelque capacité, et cela va jusqu’aux instituteurs : il nous semble que ce n’est pas faire preuve d’un esprit exclusif. Enfin, le double vote est accordé à tous les pères de famille âgés de trente-cinq ans, et rien, à coup sûr, n’est cette fois moins aristocratique, car les pauvres comme les riches, les ouvriers comme les patrons, les paysans comme les propriétaires sont pères de famille et ils sont traités les uns et les autres sur le pied d’une parfaite égalité. Pour tous ces motifs, le système belge est un des plus défendables qui soient au monde, et c’est avec une attention bienveillante que tous les esprits libéraux dans le monde en