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qu’il y a certainement lieu d’en souhaiter la prolongation. Non pas qu’il faille condamner a priori toute modification, même immédiate, qui y serait introduite, car tout ce qui vit change et évolue ; mais il est inadmissible qu’on emploie l’intimidation, la force, la grève plus ou moins générale, l’émeute enfin, pour arracher de haute lutte aux pouvoirs publics consternés des réformes qui ne doivent venir que du progrès naturel des idées et du temps. On vient cependant de recourir à ces moyens en Belgique, et ce n’est pas la première fois : bien coupables sont ceux qui l’ont fait.

Le régime électoral actuel de la Belgique date de 1893. Auparavant, il était purement censitaire : il n’y avait alors que 135 000 électeurs. D’un seul coup, ce chiffre a été élevé à 1 418 480. On conviendra qu’un tel changement en valait la peine. Mais, comme nous l’avons dit, le droit de vote n’est pas égal pour tous. Au fond, en 1893, presque personne ne voulait qu’il le fût : ceux mêmes qui réclamaient le plus ardemment le suffrage universel acceptaient que des tempéramens y fussent introduits, et c’est le grand mérite du gouvernement de cette époque d’avoir su trouver une transaction dont tout le monde s’est déclaré satisfait. Loin de repousser la réforme, les catholiques qui étaient alors au pouvoir comme ils y sont encore aujourd’hui en ont été les principaux auteurs. Le nom de M. Beernaert y restera très honorablement attaché : mais il est juste de reconnaître que les libéraux et les socialistes ont collaboré avec beaucoup de bonne volonté et de loyauté à l’œuvre commune. M. Beernaert rappelait l’autre jour à la Chambre des représentans ces souvenirs, déjà un peu effacés dans quelques mémoires. Il citait des discours de MM. Paul Janson et Feron, qui s’étaient montrés, il y a neuf ans, enthousiastes du résultat obtenu. Tout permettait de croire qu’on avait rédigé en commun une de ces chartes qui donnent à un pays de longues années de paix intérieure et de tranquillité. Voici comment s’exerce le vote plural. Une voix supplémentaire est donnée à l’électeur de trente-cinq ans marié ou veuf avec descendance légitime, payant cinq francs de contributions pour son habitation, à moins qu’il en soit exempt à raison de sa profession. De plus, deux voix supplémentaires sont attribuées, à partir de l’âge de vingt-cinq ans, aux anciens électeurs censitaires et à ceux qu’on appelle capacitaires. La Belgique a donc réalisé cette adjonction des capacités qu’on réclamait chez nous en 1847-1848, et dont le refus a amené la révolution de cette époque ; mais elle l’a réalisée dans le privilège, et non pas dans le droit commun. Les capacitaires doivent justifier de diplômes de l’enseignement