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limitée en une certaine région de la moelle épinière provoquait une mort subite. La position de ce point remarquable fut précisée en 1812 par Legallois et plus parfaitement encore par Flourens en 1827. Il est situé dans le bulbe rachidien, au niveau de l’union du cou avec la tête ; exactement, sur le plancher du 4e ventricule près des origines de la huitième paire. C’est ce que l’on a appelé le nœud vital. De l’intégrité de ce point qui n’est pas plus gros que la tête d’une épingle dépend la vie de l’animal. Ceux qui croyaient à une localisation du principe vital s’imaginèrent avoir trouvé le siège cherché. Mais il eût fallu, pour cela, que la destruction de ce point fût irrémédiable et entraînât la mort. Ce n’est pas ce qui a lieu. Si l’on détruit le nœud vital et que l’on entretienne artificiellement la respiration, au moyen d’un soufflet, l’animal résiste : il continue à vivre. C’est seulement le mécanisme nerveux incitateur des mouvemens respiratoires qui a été atteint dans une de ses parties essentielles.

La vie ne réside donc pas plus dans ce point que dans le sang ou dans l’estomac. L’expérience ultérieure a prouvé qu’elle résidait partout ; que chaque organe jouit d’une vie indépendante. Il est, suivant la forte expression de Bordeu, « un animal dans l’animal, » ou suivant celle de Bichat, « une machine particulière dans la machine générale. »

Qu’est-ce donc que la vie, c’est-à-dire l’activité biologique de l’individu, de l’animal, de l’homme ? C’est évidemment la somme ou plutôt le concert de ces vies partielles des différens organes. Mais dans ce concert il semble qu’il y ait certains de ces instrumens qui dominent et soutiennent les autres ; il y en a dont l’intégrité est plus nécessaire à la conservation de l’existence et de la santé, et dont la lésion entraîne plus fatalement la mort. Ce sont le poumon, le cœur et le cerveau. On meurt toujours, disaient les anciens médecins, par l’altération de l’un de ces trois organes. La vie repose donc sur eux, comme sur un appui à trois pieds. De là la notion du trépied vital. Ce n’est plus un siège unique que l’on trouvait, pour le principe vital, mais une sorte de trône à trois étais. La vie se décentralisait.

Ce n’était là qu’un premier pas, bientôt suivi de beaucoup d’autres, dans cette voie de la décentralisation vitale. L’expérimentation montra, en effet, que tout organe séparé du corps peut continuer à vivre, si l’on réussit à lui fournir les conditions convenables.