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L’impulsion directrice, considérée comme réelle, est l’expression dernière du Vitalisme moderne. Si l’on va plus loin, on sort enfin de la doctrine : on ne peut plus se réclamer d’elle. C’est ce qu’a fait Claude Bernard. Il n’a pas considéré l’idée de direction comme un principe réel. Le lien des phénomènes, leur harmonie, leur conformité à un plan que l’intelligence saisit, leur appropriation à un but qu’elle aperçoit, ne sont autre chose qu’une nécessité de l’esprit, un concept métaphysique : le plan qui s’exécute n’a qu’une existence subjective ; la force directrice n’a pas de vertu efficiente, de puissance exécutive ; elle ne sort pas du domaine intellectuel où elle est née, et ne vient point « réagir sur les phénomènes qui ont donné l’occasion à l’esprit de la créer. »

C’est entre ces deux idées extrêmes que se déroulent toutes les nuances de la doctrine vitaliste. Au point de départ on trouve une force vitale personnifiée, agissant comme on l’a dit, en quelque sorte avec des mains humaines qui façonnent la matière obéissante ; c’est la forme primitive et pure de la doctrine. A l’autre extrême on trouve une force vitale qui n’est plus qu’une idée directrice, sans existence objective, sans rôle exécutif ; simple concept par lequel l’esprit réunit et conçoit une succession de phénomènes physico-chimiques. On touche de ce côté à l’Unicisme.

C’est surtout, du côté opposé, vers le monde psychique que les premiers vitalistes prétendaient se barricader. Nous venons de voir qu’ils ne raffinaient pas tant que ceux d’aujourd’hui : le Principe vital était pour eux un agent réel et non pas un plan idéal en voie d’exécution. — Mais, ils distinguaient ce principe spirituel d’un autre qui coexiste avec lui, chez les êtres vivans supérieurs, et au moins chez l’homme, l’âme pensante. Ils l’en séparaient, avec énergie, parce que l’activité de celle-ci se traduit par la connaissance et la volonté, tandis qu’au contraire, les manifestations de celle-là échappent précisément, pour la plupart, à la conscience et à la volonté.

Nous ne sommes, en effet, informés en rien de ce qui se passe dans nos organes, à l’état normal ; leur parfait fonctionnement ne se traduit à nous d’aucune autre manière que par un obscur sentiment de bien-être. Nous ne sentons pas les battemens de notre cœur, les dilatations périodiques de nos artères, les mouvemens du poumon ou ceux de l’intestin, les glandes qui