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une horloge qui se fait elle-même : c’est un mécanisme qui se construit et se perpétue. Rien de pareil ne se montre à nous dans la nature inanimée. La physiologie a trouvé là sa limite provisoire. Et c’est au delà de cette limite, dans l’étude des phénomènes par lesquels l’organisme se construit et se perpétue, c’est-à-dire sur le terrain des fonctions de la génération et du développement, que les doctrines philosophiques s’étalent et fleurissent. Voilà où est la frontière actuelle de ces deux puissances, la philosophie et la science. Nous la délimiterons d’une manière plus précise, dans un moment. Un savant bien connu, dont l’Allemagne n’est pas seule à déplorer la mort récente, W. Kühne, s’était amusé à étudier la répartition des doctrines biologiques dans le personnel des sociétés savantes et dans le monde des Académies. Il résumait cette sorte d’enquête statistique en disant, en 1898, au Congrès de Cambridge, que les physiologistes étaient à peu près tous partisans de la doctrine physico-chimique de la vie et les naturalistes, en majorité, partisans de la force vitale et de la doctrine des causes finales.

On en voit la raison. La physiologie s’est en effet cantonnée dans l’explication du fonctionnement de l’organisme constitué, c’est-à-dire sur un terrain où n’interviennent, comme nous le montrerons plus loin, ni d’autres énergies ni une autre matière que les énergies et la matière universelles. Les naturalistes, en revanche, ont considéré plus spécialement, — et d’ailleurs au seul point de vue descriptif, au moins jusqu’à Lamarck et Darwin, — les fonctions de l’espèce, la génération, le développement et l’évolution. Or, ce sont là les fonctions les plus réfractaires, les plus inaccessibles aux explications physico-chimiques. Aussi, quand il a fallu rendre compte de leur accomplissement, les zoologistes, n’ont-ils pas trouvé autre chose, en fait d’agens exécutifs, que la force vitale, sous ses différens noms. Pour Aristote c’est la force vitale elle-même qui, dès qu’elle s’introduit dans le corps de l’enfant, en pétrit la chair et la façonne à la forme humaine. Des naturalistes contemporains, comme les Américains C. O. Whitman et C. Philips, ne raisonnent pas autrement. D’autres, comme Blumenbach et Needham au XVIIIe siècle, invoquaient la même divinité sous un autre nom, celui de nisus formativus. D’autres enfin, se payent de mots : ils parlent d’hérédité, d’adaptation, d’atavisme comme si c’étaient des êtres réels, actifs et efficiens : tandis que ce ne sont que