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au plus tard. Près de deux cent cinquante porteurs avaient été mis à ma disposition, avec les outils nécessaires, tel que scies, pelles, etc. Je passais, pour l’occasion, dans l’arme du génie, et me rappelais mes vieux souvenirs de Fontainebleau, les abatis d’arbres, les trous de loups, les chausse-trapes, etc. Derrière la haie, je fis en clayonnages, comme les Romains au siège d’Alise, des beffrois et des rampes pour les tireurs. Enfin les longues théories de travailleurs, semblables aux fellahs antiques, apportaient sur la tête les pierres ramassées autour du fort. J’en construisais un mur de pierres sèches, large comme une chaussée romaine, à l’intérieur duquel se trouvait le réduit. Pendant ce temps, M. C... versait l’huile du steamboat dans les mitrailleuses, et prenait comme cible d’essai les indigènes qui surveillaient curieusement les travaux. Un grand et gros arbre se trouvant dans le camp, je persuadai au lieutenant W... d’y faire une plate-forme dans la fourche ; on hissa une mitrailleuse, et de cet observatoire, nous attendions patiemment l’attaque de l’ennemi.

L’ennui ne commença que le 16 à nous envahir. Les Oua-Nandis étaient devenus invisibles. À cette date, le fort défendu par soixante hommes eût résisté à une troupe européenne. M. C... et moi étions fermement persuadés de passer, avec trente soldats, au milieu des Oua-Nandis, comme nous l’avions fait le 12.

Mes relations avec le lieutenant W... commencèrent alors à devenir tendues. Ce fut, avec mon geôlier, la guerre en gants blancs, très polie, mais systématique. J’avais heureusement dès le premier jour, et sans aucun calcul, tenu à n’accepter l’hospitalité, ni de sa table, ni de sa demeure. Les provisions dont j’étais assez amplement pourvu, me permettaient de lui rendre tous les dîners et tous les five o’clock que j’en acceptais. J’avais apporté un vieux whisky d’Ecosse, mais l’habile homme avait un jeu de whist, et quand toute la journée j’avais refusé, sous mille prétextes, de dîner avec lui, il faisait miroiter la partie du soir et le jeu du mort, pour lequel tout polytechnicien ferait des folies.

Les jours s’enfuyaient dans leur monotonie ; ma pensée allait aux miens, privés par le blocus de toute nouvelle. Le dernier bateau que je pusse prendre, pour ne pas dépasser mon congé, partait de Zanzibar le 27 août. Il me fallait un grand mois pour