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orgueilleux, d’utiliser les fautes de la Hollande pour étendre au nord nos frontières et détruire à notre profit la concurrence d’une nation commerçante. C’est l’indépendance du pays, l’intégrité du territoire qu’il va falloir défendre contre les deux tiers de l’Europe. Les premiers mois de 1674 verront s’accroître formidablement la coalition des puissances. Nos rares alliés, intimidés, lâcheront pied l’un après l’autre. En février, ce sera le roi d’Angleterre qui, pressé par son parlement, poussé l’épée aux reins par l’opinion publique, abandonnera la cause de Louis XIV, fera sa paix avec les États Généraux. Quelques semaines plus tard, viendra le tour des princes-évêques, l’Électeur de Cologne et l’évêque de Munster. L’Électeur palatin, l’Electeur de Mayence, les ducs de Brunswick et de Lunebourg, enfin, — plus puissant à lui seul que tous ces derniers réunis, — l’Électeur de Brandebourg, entreront également dans la coalition. Et l’instigateur de cette ligue, le négociateur de cette alliance universelle, l’âme du mouvement sans précédent qui lancera contre une seule nation rois, empereur, électeurs, tous les porte-couronnes, sera un prince de vingt-quatre ans, chef récemment élu d’une petite république, que Louis XIV, hier encore, couvrait d’un écrasant dédain. Cette cabale extraordinaire sera l’œuvre du prince d’Orange, le fruit de sa patience tenace et de son génie audacieux. L’heureuse étoile de Louis XIV voudra que ce politique redoutable soit moins bon tacticien sur les champs de bataille, et que la France trouve de grands capitaines pour réparer par des victoires les erreurs de ses hommes d’État.


PIERRE DE SEGUR.