Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 9.djvu/167

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soin fut de se délivrer du bagage encombrant qui retardait sa marche et gênait ses mouvemens. Il se défit de ses chariots, chargea sur des chevaux de bât les vivres et les munitions, puis, ainsi allégé, il écrivit à M. de Schomberg et l’informa du coup qu’il méditait pour opérer sa jonction avec lui. Il prit aussi la précaution de répandre le bruit que, le temps s’étant raffermi, il revenait à son idée de suivre la voie des Ardennes, et, les premiers jours de janvier, parut prêt en effet à risquer cette nouvelle tentative. L’armée se mit en marche et prit la route de Liège ; l’avant-garde passa la Meuse, poussa même jusqu’aux bords de l’Ourthe. Le prince d’Orange donna dans le panneau. Il leva ses quartiers, abandonna sa position de Tirlemont, accourut à marches forcées vers le défilé de Rochefort, afin d’y barrer le passage. C’est ce qu’attendait Luxembourg. Sitôt qu’il le vit engagé sur la rive droite du fleuve, il arrêta le mouvement commencé, remonta vivement vers Maëstricht, retraversa la Meuse avec sa cavalerie, et gagna d’une haleine la petite ville de Tongres, où Schomberg averti venait à sa rencontre avec six mille chevaux. Tandis que les alliés, dupes d’une démonstration feinte, « se crottaient » en pure perte sur les routes défoncées qui menaient vers Sedan, « ruinaient » leurs chevaux et leurs hommes dans ces régions basses et marécageuses, les deux corps français se joignaient et retournaient ensemble « à toute bride » à Maëstricht, assez nombreux maintenant pour n’avoir plus grand’chose à craindre[1].

Ce mouvement bien conçu et prestement exécuté suffit au gain de la partie. Guillaume, lorsqu’il se vit joué, ne s’obstina pas davantage. « Les Hollandais et les Espagnols ont repassé la Meuse, mandent à Feuquières les plénipotentiaires du Roi. Nous croyons que M. de Luxembourg passera comme il voudra, et que chacun ira se reposer jusqu’au printemps. La première expédition de M. de Monterey n’aura pas produit grand effet [2]. » Le pronostic, à quelques jours de là, se vérifiait de point en point : « MM. de Monterey et le prince d’Orange se sont retirés, reprennent les mêmes informateurs ; et, s’ils n’avaient pris ce parti, ils se trouveraient fort embarrassés. » Luxembourg, en

  1. Mémoires de Feuquières, t. III. — Lettre de Pellisson du 15 janvier 1671. — Luxembourg à Louvois, janvier 1674. — Archives de la Guerre, t. 383.
  2. Lettre de MM. Courtin et de Barillon du 6 janvier 1674. — Lettres des Feuguières, passim.