Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 9.djvu/165

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de Namur, tandis que l’infanterie « passait dans des bateaux, » et que toutes les forces alliées accouraient à marches forcées pour arriver les premières à Rochefort, « un défilé du diable, où un grand corps ne déposte point un petit. » Par suite de la rupture du pont, il n’était plus d’espoir de prévenir l’ennemi sur ce point. Il fallait rebrousser chemin, changer de nouveau ses batteries. Le parti du duc fut vite pris. Sans hésitations inutiles, on répara le pont tant bien que mal ; l’armée retourna sur ses pas, ramassa les « traîneurs » et les bagages enlizés dans la boue, et regagna le camp de Maëstricht, d’où Luxembourg dépêcha vers Louvois pour l’informer de sa situation.


VI

L’émoi fut grand à la Cour lorsque ce message arriva. Les commentaires allaient leur train ; on dénaturait les nouvelles ; de la plus absolue confiance on passait brusquement aux plus excessives inquiétudes. « M. de Luxembourg est un peu oppressé par l’armée de M. de Monterey et du prince d’Orange, écrivait à sa fille Mme de Sévigné[1]. Il ne peut hasarder de décamper, et il périrait si on ne lui envoyait du secours... Cette nouvelle est grande et fait un grand mouvement partout. » Le Roi, se départant de son calme ordinaire, mandait en hâte à son conseil ses plus célèbres capitaines, envoyait de toutes parts des ordres précipités. Il fut résolu que les troupes, entrées déjà dans leurs quartiers d’hiver, seraient rappelées et remises en campagne ; Condé, Turenne, le duc d’Enghien, « tous trois dans une parfaite intelligence, » en recevraient le commandement ; trente-cinq mille hommes, l’élite de nos armées, sous ces illustres chefs, se dirigeraient vers Charleroi, pour « ouvrir le chemin » à leurs compagnons en détresse. Condé, sortant d’une crise de goutte, était à peine convalescent ; Turenne souffrait d’un accès du même mal ; ni l’un ni l’autre, toutefois, n’éleva nulle objection ; ils se préparèrent au départ. Tout ce qui portait une épée réclamait la faveur de se joindre à l’expédition. Le comte de Bussy-Rabutin, du fond de son exil, jugeait l’occasion bonne pour revenir sur l’eau et écrivait au Roi pour lui proposer ses

  1. Lettre du 29 septembre 1673, Ed. Mommerqué. — Voir aussi la lettre de Bussy-Rabutin du 31 décembre. Correspondance de Bussy-Rabutin.