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ne pouvait y songer sans folie. « J’ai considéré, mande-t-il à Louvois[1], que nous ne saurions être avertis de ce qui se passera par les derrières, et que je pourrais trouver sur mon chemin une plus grande compagnie que je ne voudrais, qui aurait l’avantage de m’attendre dans son pays, sans bagages ni rien qui l’incommode. » Les détails qu’il reçut le lendemain et les jours suivans ne firent que confirmer ces craintes. L’armée alliée dépassait trente mille hommes, dont dix mille de bonne cavalerie. Le stathouder, en outre, avait mobilisé « un grand amas de paysans, qui tenaient tous les bois, » faisaient des abatis, défonçaient les chemins, surexcités par l’espoir du pillage. Luxembourg, contre tant d’ennemis, ne disposait que de cinq mille chevaux et de neuf mille hommes d’infanterie, suivis « d’un gros bagage, fort incommode quand il s’agit de combattre, » C’est le compte qu’il fait à Louvois : « Ce que je vous dis là, ajoute-t-il, croyez bien que c’est un état au juste, que nous en fîmes hier, M. de Fourilles et moi[2]. » Force fut donc de s’ingénier à chercher un autre chemin : « L’intention de Sa Majesté étant que je ramène l’armée en France sûrement, il m’a semblé que le meilleur était de passer par Rochefort, de là à Mézières ou Sedan, » laissant à droite la grande chaussée. Pour ce nouveau dessein, il n’était pas une heure à perdre. L’ennemi s’approchait rapidement. Quelques jours de retard lui permettraient de couper le chemin et de bloquer toutes les issues.

On se mit donc en route vers les Ardennes, à travers des difficultés croissantes. A l’embarras des « chemins détestables » s’ajoutait la contrariété « d’un temps le plus fâcheux du monde. «  Les soldats, écrit Luxembourg[3], « fatigués et mouillés tous les jours, n’ayant pas de quoi se mettre la nuit à couvert, n’ont pu tous suivre leurs drapeaux, auprès desquels il n’y en a pas la moitié. Nos caissons sont demeurés par les routes en grand nombre, et beaucoup d’équipages avec lesquels nous avons bien du monde. » Le soir de la seconde journée, en passant la rivière de l’Ourthe, les glaces désagrégées et les eaux débordées rompirent le pont pendant la traversée des troupes ; la moitié de l’armée se trouva séparée de l’autre. On apprit le même jour que la cavalerie de Guillaume avait franchi la Meuse sur le pont

  1. 16 décembre 1613. — Archives de la Guerre, t. 331.
  2. Lettres des 21 et 24 décembre. — Archives de la Guerre, t. 331.
  3. 21 décembre. — Archives de la Guerre, t. 331.