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À cette note laconique sont jointes, par les soins de Louvois, des instructions claires et substantielles : « Le Roi souhaite[1] qu’avec tous les paysans que vous pouvez ramasser vous fassiez faire à la digue du Leck une ouverture si large et si profonde que les inondations augmentent considérablement dans le pays des Hollandais ; que vous négociez avec les habitans d’Utrecht pour en tirer une somme d’argent très considérable pour s’empêcher d’être pillés, et qu’en quittant cette place vous en fassiez sauter les portes ; que vous fassiez de même rançonner Hardewick et Amersfort pour s’empêcher d’être brûlées, sinon que vous en donniez le pillage aux troupes... ce qu’il faut pourtant tâcher d’éviter autant que possible, tant parce que Sa Majesté n’en profiterait pas, qu’à cause des violences qui ont coutume de se pratiquer en pareilles occasions, lesquelles la piété de Sa Majesté est bien aise d’épargner autant qu’il n’est pas absolument nécessaire. » Ensuite vient l’énumération des autres places à évacuer — toutes celles du Zuyderzée, de l’Yssel et du Leck — avec quelques avis sur la méthode à suivre pour rassembler les garnisons et les conduire en terre française. « Je ne puis finir, conclut-il, sans me réjouir avec vous de ce que je vous reverrai ici entre ci et la fin de cette année et que, par le grand nombre des troupes que vous ramènerez en France, je pourrai avoir le plaisir d’en faire loger beaucoup dans votre seigneurie de Ligny[2]. »

On voit par cet extrait que, fidèle à soi-même, Louvois, tout en lâchant sa proie, veut que l’affaire soit lucrative, et que les Hollandais achètent à beaux deniers comptans la délivrance du sol de leur patrie. La plupart de ses lettres ont trait à cette question, qui lui tient fort au cœur : « Sa Majesté a vu avec plaisir que vous êtes persuadé que l’on pourrait tirer une furieuse somme d’argent pour ne point piller et brûler les villes que l’on quittera ; et Elle s’attend de recevoir un grand soulagement de celles que vous abandonnerez... Il n’y a point d’inconvéniens, après leur avoir fait racheter leurs maisons, d’emmener avec vous les principaux tant des villes que des villages, pour ne les point relâcher qu’ils n’aient payé une très grosse rançon ; et Sa Majesté s’attend que vous serez sur cela aussi dur et aussi exact que son service le

  1. Louvois à Luxembourg, 23 octobre. — Archives de la Guerre, t. 317.
  2. Allusion à une lettre récente où Luxembourg se plaignait vivement qu’on eut envoyé des troupes en quartiers dans sa terre.