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être soudain, le parti n’était pas moins sage. Louvois, après quelques semaines de trouble, semblait enfin se ressaisir, retrouvait son sang-froid, sa clairvoyance et sa décision ordinaires. La coalition que Guillaume venait de nouer contre la France, le fait, désormais accompli, de l’entrée dans la lice des armées d’Espagne et d’Autriche, transformaient totalement la face primitive de la guerre, enlevaient aux Pays-Bas l’importance stratégique qu’on y avait jusqu’alors attachée ; le principal théâtre de la lutte allait se transporter sur les frontières d’Allemagne. Louis XIV a lui-même, dans un mémoire de sa main, résumé les motifs qui dictèrent sa résolution : « J’étais maître, écrit-il[1], d’une partie de la Hollande ; j’avais des troupes logées en Allemagne et éloignées de moi, des ennemis voisins, des places en méchant état, des frontières entièrement ouvertes, des ennemis puissans sur mer, et sujet d’avoir de l’inquiétude de tous côtés. Il me fallait résoudre à perdre ainsi toutes mes conquêtes éloignées, et penser à en faire dans les endroits par où je pourrais attaquer et me défendre. » Rien n’était donc plus à propos que d’abandonner à leur sort de spacieuses régions inutiles, pour ramasser ses forces et faire face au pressant danger.

C’était, sur une plus vaste scène, le système que depuis longtemps prêchait en vain le duc de Luxembourg : sacrifier les postes superflus et se concentrer dans les autres. Aussi est-ce sans surprise qu’il accueille aujourd’hui la confidence ministérielle. Il se prépare sur l’heure à réaliser ce programme, promettant à Louvois la plus absolue discrétion : « Je vous renvoie, lui dit-il, votre lettre, ne voulant pas que le hasard puisse jamais faire que l’on sache que vous vous soyez ouvert à moi du secret que vous me chargez de garder sur cela. » Trois jours plus tard, d’ailleurs, ce grand secret n’en est plus un. Quelques lignes du Roi, écrites cette fois en la forme officielle, confirment la nouvelle en ces termes précis : « Mon cousin[2], ayant donné l’ordre au sieur marquis de Louvois de vous expliquer mes intentions sur l’abandon d’une partie des places qui sont présentement sous votre commandement et que j’ai conquises l’année dernière sur les Hollandais, je vous écris ce mot pour vous dire que vous exécutiez ce qu’il vous expliquera de mes intentions à cet égard. »

  1. Fragment sur la campagne de 1674. Œuvres de Louis XIV, l. II 1, p. 454.
  2. 23 octobre 1673. — Archives de la Guerre, t. 317.