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moins impitoyable arrêt que ne le réclamait Louvois, « L’affaire du Pas a été jugée, lui manda Luxembourg[1]. Les avis ont été partagés. Nul n’a été à la mort, et celui qui faisait la fonction de procureur du Roi n’y a pas même conclu. Les uns l’ont déclaré incapable de servir ; d’autres ont été de cet avis en y ajoutant le bannissement ; et le reste a opiné à la dégradation et à la prison. Pour moi, mon opinion a été de le déclarer indigne de pouvoir jamais servir le Roi, de le dégrader à la tête des troupes, et de le condamner à la prison perpétuelle, pour lui laisser sa vie durant la honte de la lâcheté qu’il a commise. » Cet avis fut suivi. Le Conseil de guerre, « considérant que nulle ordonnance ne punit de mort la lâcheté, » condamna le coupable à être dégradé, « promené la pelle à la main dans les rues de la ville d’Utrecht, » et gardé en prison le reste de ses jours. Cette clémence relative ne satisfit pas Louis XIV. « Le Roi a dit, rapporte Pellisson, que ceux qui avaient jugé ainsi n’étaient pas de grands jurisconsultes, attendu que, selon la coutume de France, la prison perpétuelle n’était pas au nombre des peines. » Louvois, plus mécontent encore, mandait à l’intendant Robert : « C’est un grand bonheur à du Pas d’avoir été jugé comme il a été, puisque homme n’a jamais si bien mérité la corde, et que, dans le crime dont il était accusé, il ne doit pas y avoir de milieu entre l’absolution et la mort. »

Turenne, plus juste et plus humain, vint à bout cependant d’apaiser cette méchante humeur, et rendit un suprême service à son malheureux protégé. L’année suivante, au siège de Grave, il obtint pour du Pas la permission de prendre le mousquet, de servir dans le rang comme simple volontaire, sous les ordres de Chamilly. Le vieux soldat comprit l’invite, résolut d’y répondre et se tint fidèlement parole. A la première sortie, une balle compatissante exauça le désespéré et le débarrassa de sa vie misérable.


Le mal causé par la prise de Naerden n’en demeura pas moins irréparable. Luxembourg, un moment, avait conçu l’espoir d’une revanche immédiate. Dès qu’il connut la reddition, il fit venir son infanterie et se posta sur la route de Naerden : « Le bruit court, écrit-il[2], que les troupes d’Espagne doivent bientôt

  1. 7 novembre 1673. — Archives de la Guerre.
  2. 18 septembre 1673. — Archives de la Guerre, t. 327.