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Se poser la question, c’était du même coup la résoudre ; les officiers consultés répondirent d’une voix unanime qu’une telle attaque serait « une pure folie, « et qu’on irait au-devant d’un désastre.

« Les gens de Cour, observe Luxembourg en rapportant cette délibération[1], diront que c’est une chose que j’ai faite à Woerden ; mais elle était bien différente. Les ennemis n’étaient pas aussi forts qu’ils sont à présent et, pour les chasser de devant cette place, je n’exposais que deux mille hommes de pied et ma personne. Au lieu que, pour celle-ci, il me fallait commettre toute la cavalerie du Roi à un grand combat, du succès duquel la conservation ou la perte de ce pays-ci ne pouvait manquer de dépendre. Aussi, comme je n’aime point à déguiser mon sentiment sur les résolutions qu’il me faut prendre, je vous dirai nettement que le mien ne fut pas d’aller aux ennemis. » Il termine par ces mots qui, sur les lèvres de cet audacieux, ne sont point dénuées de grandeur : « Si je n’avais eu à conserver que les troupes, je n’aurais pas été fâché de leur faire acquérir de la gloire, et peut-être en aurions-nous remporté. Mais, comme un peut-être n’est pas un fondement sur lequel doit agir un homme qui commande, je n’ai pas cru devoir exposer les troupes et les conquêtes de Sa Majesté, la partie étant si peu égale. La sûreté d’Utrecht m’a fait prendre un parti qui convient mieux au service du Roi qu’à mon inclination ; et je ne fais pas en cela un si médiocre sacrifice au bien des affaires, qu’on ne m’en doive savoir quelque gré. »

Il se décida donc à tenir sous Utrecht la plus grande partie de l’armée, et à placer un détachement sous les murs d’Amersfort[2] ; ces deux corps seraient à portée de se soutenir l’un l’autre et prêts à marcher en avant dès qu’on aurait reçu le secours espéré, soit du prince de Condé, soit de l’évêque de Munster. Ce dernier, en effet, rôdait alors avec sa cavalerie le long des frontières de Hollande ; et, sur l’appel de Luxembourg, il promit d’envoyer ses meilleurs escadrons. La réponse de Condé fut, au contraire, très nettement négative : « J’aurais souhaité plus que toute chose au monde, écrivit-il à l’intendant Robert[3], d’être en état de pouvoir faire quelque diversion qui vous eût été

  1. Lettre à Louvois du 12 septembre. — Archives de la Guerre, t. 326.
  2. Petite ville située à mi-chemin entre Utrecht et Naerden.
  3. Lettre du 13 septembre. — Archives de Chantilly.