Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 9.djvu/137

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la demande hautement, depuis le plus grand jusqu’au plus petit ; car il n’y a personne parmi eux qui ne convienne qu’il ne faut que laisser la Hollande en l’état où elle est, et qu’elle sera entièrement perdue. » Un « tableau » que l’on vend publiquement à La Haye, représente, assure-t-il, avec exactitude les secrets sentimens du peuple : « C’est un Hollandais qui est tiré par un Français et par un Anglais, durant que l’Empereur d’un côté et l’électeur de Brandebourg de l’autre lui prennent son argent dans ses poches ; et, sur le tout, il y a un Espagnol qui se moque du Hollandais et lui fait les cornes... Petits et grands disent : — Voilà le véritable état où nous sommes, et comme l’on nous traite ! »

Contre le désir unanime du petit peuple et de la bourgeoisie se dresse un seul obstacle, la volonté d’un homme, une volonté si forte et si soutenue qu’elle tient la nation en échec et triomphe finalement de toutes les résistances. L’autorité du prince d’Orange s’est depuis quelques mois singulièrement accrue. Grâce à son indomptable énergie, grâce surtout au prestige que, malgré ses revers, il a gardé sur les chefs de l’armée, il a peu à peu pris en main les pouvoirs essentiels de la constitution et confisqué à son profit les libertés traditionnelles. Le pensionnaire Fagel n’est plus qu’une triste marionnette, silencieuse et tremblante, dont le stathouder tient les fils. Les États-Généraux eux-mêmes n’ont conservé qu’une ombre de puissance, troupeau timide et résigné que Guillaume conduit « à baguette, » tantôt par de flatteuses promesses, tantôt par d’effrayantes menaces. « M. le prince d’Orange, constate une lettre de Stoppa[1], y commande avec une autorité si absolue que personne n’ose parler, tous ayant été épouvantés par le supplice de cet honnête homme de Delft, que l’on a fait mourir, quoiqu’il ne fût coupable d’autre crime que de s’être plaint du gouvernement. » Les quelques députés tentés de s’insurger contre ce despotisme ne résistent guère aux espoirs que fait luire à leurs yeux un langage persuasif, d’une habile éloquence. « Il leur fait croire, écrit Louvois[2], qu’il rétablira leurs affaires, et qu’il vaut mieux souffrir pendant quelques années que de s’exposer à perdre le titre d’arbitres de l’Europe, dont ils s’étaient imaginés être en paisible possession auparavant la déclaration de la guerre. » Les plus craintifs, sous cette pression,

  1. 24 mars 1673. — Archives de la Guerre, t. 321.
  2. Louvois à Stoppa, 14 mars 1673. — Archives de la Guerre, t. 314.