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nos provinces de l’Est, circonstance qui suffit pour qu’on n’en parle qu’avec ménagement.

Mais le ministère actuel n’a pas seulement alarmé les intérêts moraux du pays ; il a encore inquiété ses intérêts matériels, qui se rattachent quelquefois étroitement aux premiers. Parmi les discours, assez nombreux déjà, qui ont été prononcés sur des points de la France très éloignés les uns des autres, la même accusation a été dirigée contre lui : c’est d’avoir un collectiviste au nombre de ses membres. M. Barthou, le dernier en date des orateurs que nous avons entendus, s’est fait pour le gouvernement l’avocat des circonstances atténuantes, et il a poussé si loin l’atténuation des fautes commises qu’il a paru quelquefois en faire la justification. Toutefois, l’introduction d’un collectiviste au pouvoir reste à ses propres yeux impardonnable, et le seul motif qu’il a de s’en consoler, — car il est bien décidé à se consoler de tout, — est l’espoir qu’un pareil fait ne se renouvellera pas. Nous en sommes moins sûr que lui. En attendant, longue est l’énumération, même dans sa bouche, des fâcheuses conséquences qu’a eues la présence de M. Millerand au ministère. On peut les résumer en disant que jamais la perturbation n’a été plus profonde dans le monde du travail. Jamais on n’avait vu coup sur coup autant de grèves. Quand une prend fin, une autre commence : nous en avons en ce moment même quatre ou cinq sur plusieurs points de la France. Et la menace de la grève générale plane toujours sur nous. Si, à ce désordre économique, on ajoute le désordre financier qui s’est introduit dans le budget sous la forme du déficit, on verra ce qu’ont pu faire, en quelques années de mauvais gouvernement et de mauvaise administration, des lois mal conçues et mal exécutées, des arrêtés et des décrets où l’omnipotence ministérielle s’est donné libre carrière sans discussion préalable ni contrôle, pour jeter dans les esprits, même bienveillans et optimistes, le trouble et l’inquiétude. Les sujets de mécontentement étant aussi divers, on comprend pourquoi les mécontens le sont aussi. Et, lorsqu’on songe à tous les projets et propositions de loi que le ministère et ses amis ont laissés en souffrance, faute de temps pour les voter, mais qu’ils espèrent bien reprendre et faire aboutir dans la législature prochaine, les plus vives appréhensions pour l’avenir se joignent à celles que provoque le présent. Nous voyons déjà l’armée compromise par la réduction de la durée du service militaire sans de sérieuses mesures préalables pour en atténuer le danger, nos finances mises en péril par des réformes imprudentes et hâtives, la liberté de l’enseignement menacée de sup-