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charmant Silvio Pellico. L’aventure de Francesca de Rimini, en particulier, a fourni matière, après lui, à une vingtaine de drames, tragédies et romans, dont on serait aujourd’hui fort embarrassé de nommer les auteurs. Et voici que, dans ce moment même, l’Angleterre et l’Italie assistent à deux nouveaux essais de résurrection du couple infortuné que jadis « l’amour conduisit à une mort commune. » En Angleterre, la troupe dramatique de M. George Alexander représente chaque soir, aux applaudissemens de la foule et des lettrés tout ensemble, une tragédie envers de M. Stephen Phillips, Paolo and Francesca, que les critiques s’accordent à proclamer « la plus belle œuvre du théâtre. anglais depuis deux cents ans. » En Italie, Mme Éléonore Duse promène de ville en ville la Francesca da Rimini de M. d’Annunzio ; et, là encore, la foule applaudit avec enthousiasme, tandis que les lettrés, lors même qu’ils n’admirent point sans réserve, reconnaissent pourtant l’éminente valeur littéraire de la pièce, sa beauté poétique, et la noblesse de l’effort dont elle est le fruit.

Je n’ai eu l’occasion de voir jouer ni l’une ni l’autre de ces deux Francesca, mais je les ai lues toutes deux, en de luxueuses éditions où se trouvent abondamment indiqués jusqu’aux moindres détails de la mise en scène. J’ai pu ainsi me rendre compte de la façon dont les deux auteurs ont traité le sujet. Et si, peut-être, une partie de l’intérêt dramatique des deux pièces m’a échappé, j’ai pu du moins apprécier leur intérêt littéraire, qui est assurément des plus considérables. Toutes deux sont, avec des mérites différens, de vraies couvres d’art, et dignes du grand succès qui les a accueillies. Mais toutes deux m’ont rappelé, une fois de plus, le mot d’Ugo Foscolo : « Ne touchons pas aux morts de Dante ! » Et en vérité aucun exemple ne saurait mieux prouver le danger qu’il y a, pour un auteur de notre temps, à vouloir toucher à ces morts immortels.

Non que la vue de ces morts ait désormais de quoi nous « faire peur ! » À ce genre de crainte-là nous sommes depuis longtemps devenus insensibles ; et je croirais même volontiers que M. d’Annunzio, notamment, s’est ingénié à stimuler autant qu’il pouvait notre capacité d’épouvante littéraire en ajoutant à l’horreur du sujet tout ce que sa riche imagination lui a offert de passions violentes et perverses. Les amours de Paolo et de Francesca, chez lui, sont à coup sûr plus terribles qu’au cinquième chant de l’Enfer. Mais, plus terribles, elles sont moins belles, d’une beauté moins profonde, moins pure, moins parfaite. Et, pareillement celles que nous présente M. Stephen Phillips. Le poète toscan nous a laissé de ces amours une image qui