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du théâtre. Il écrit dans la préface de la Maréchale d’Ancre : « Au centre du cercle que décrit cette composition, un regard sûr peut entrevoir la Destinée, contre laquelle nous luttons toujours, mais qui l’emporte sur nous dès que le caractère s’affaiblit ou s’altère…  » Chatterton ne lui sert qu’à exprimer une fois de plus l’idée qui lui avait déjà inspiré Moïse et Stello : le martyre perpétuel et la perpétuelle immolation du poète. Aussi chaque personnage, dénué de réalité vivante, n’y incarne-t-il qu’une entité : Chatterton, la souveraineté et la misère du poète ; Kitty Bell, la pitié de la femme ; John Bell, l’égoïsme de la société ; le lord-maire, l’indifférence des pouvoirs publics ; le quaker la raison supérieure, à moins que ce ne soit le pédantisme et l’ennui. — Pour ce qui est de Dumas père, nous nous sommes trop récemment expliqué sur son cas pour avoir le courage d’y revenir ; mais sans doute il ne serait pas très difficile de montrer que c’est lui qui parle par la bouche d’Antony de Kean ou de Buridan.

Le drame romantique, où l’auteur est perpétuellement en scène, est donc un perpétuel contresens. Car il est absurde de prêter, à des gaillards du temps de François Ier, de Cromwell ou de Louis XIII, les langueurs, la mélancolie, la révolte et la fièvre de la génération de 1830. Puisque le cadre du drame nous est donné pour historique, nous ne pouvons nous empêcher de constater que la date des sentimens n’est pas celle du cadre. Puisque le drame est le développement d’une situation, nous ne pouvons nous empêcher de constater que l’action y est toujours au rebours des exigences de la situation ; comme si, par une espèce de gageure, les personnages s’y étaient imposé la loi de dire toujours le contraire de ce qu’ils devraient dire et de faire le contraire de ce qu’ils devraient faire. Cela révolte notre besoin de logique ; cela met à la torture notre bon sens ; cela est faux, et, en art, ce qui est faux n’est pas viable. — Pour tout dire, il y a, dans le drame romantique, contradiction essentielle entre deux principes : celui du théâtre, qui est l’impersonnalité, celui du lyrisme, qui est la personnalité. Quand ces deux principes se trouvent en présence, il faut que l’un chasse l’autre. Ou bien l’élément dramatique se libère du lyrisme, et c’est ce qui est arrivé pour notre tragédie. Ou bien le lyrisme reste seul maître de la place. C’est ce qui arrivera pour les pièces de Musset. Aussi ne seront-elles pas des œuvres dramatiques, mais elles seront des œuvres d’art. Par un juste instinct de poète, ou par un effet de sa hardiesse cavalière, l’auteur réalisera dans ces œuvres purement lyriques ce qui avait manqué au drame : l’unité de composition.