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excusable — du médecin qui l’assiste, leur font prononcer à l’audience de véritables hérésies dont profite habilement la défense : Darny, par exemple, avant le procès, achète dans diverses maisons de parfumerie pour théâtre des échantillons de blanc de fard ; son docteur et lui y trouvent de l’argent, jamais de plomb et quelquefois du bismuth. Or les fards liquides à base d’argent n’existent pas, et, comme fait observer Me Massu, entre ceux à base de céruse, vénéneux ou non, et ceux réputés inoffensifs à base de bismuth, les acteurs n’hésitent pas et, repoussant ceux-ci, réclament formellement ceux-là à leurs fournisseurs qui les servent suivant leur goût. Dès lors, il ne saurait y avoir tromperie. Mais dans cette affaire, ajoute Me Massu, il faut faire la part du « cabotinage » et de la concurrence commerciale : plusieurs des témoins veulent faire de la réclame en faveur d’un magasin de fards pour théâtres qu’ils viennent d’ouvrir ou de commanditer. De là enfin le procès contre une ancienne et honorable maison de Paris qui, depuis trois quarts de siècle, emploie et débite les mêmes ingrédiens que les autres parfumeurs.

Sans renoncer pour cela complètement à l’accusation, l’avocat général, M. Pinard, abonda dans ce sens. Selon lui seulement, les termes « blanc Vénus, » « blanc Rachel, » « blanc superflu, » n’indiquaient pas du tout la nature assez dangereuse du blanc débité, ce qui était blâmable. La Cour, après une longue délibération, adopta l’avis de la défense et, le 8 janvier 1860, prononça l’acquittement du sieur F… et de la dame D…

On trouve d’autres exemples plus modernes d’empoisonnement cités dans la brochure de M. Altmann et dans les journaux médicaux, mais aujourd’hui le danger éventuel ne menace guère que les artistes par trop négligens ou malheureusement aussi trop pauvres pour acheter des fards gras de bonne marque. A l’emploi des poudres et surtout des affreux fards liquides ou émaux a succédé l’usage des fards gras appliqués eux-mêmes, comme nous l’avons dit, sur une infime couche protectrice de beurre de cacao et l’inoffensif blanc de baryte peut remplacer le blanc de plomb. Après la représentation, les comédiens enlèvent leur masque au moyen d’un linge imbibé de corps gras : huile d’olive, glycérine ou beurre de cacao ; après quoi ils se débarbouillent, et les techniciens conseillent aux dames de s’appliquer de nouveau pour la nuit un très léger enduit de l’éternel beurre de cacao.