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La collection de la Gazette des Tribunaux nous fournira un exemple rétrospectif assez typique pour valoir un résumé détaillé. Dans le courant de l’année 1859, un certain nombre d’acteurs ou d’actrices éprouvèrent des symptômes fort inquiétans, enflures locales sur les parties du corps qu’ils fardaient, langueurs, dépérissement et affaiblissement de la mémoire et de L’intelligence. A la suite d’accidens répétés, le directeur du Palais-Royal se plaint au commissaire de police du quartier ; on procède à des enquêtes et expertises, et finalement le sieur F…, un des premiers parfumeurs de Paris, fournisseur des fards du théâtre, comparaît, ainsi que la dame D…, devant la 6e chambre correctionnelle du tribunal de la Seine comme ayant trompé ses cliens en leur vendant sous des noms de fantaisie des substances nuisibles à la santé.

L’acteur Darny, du Palais-Royal, comparaît comme plaignant et détaille un récit terrifiant des tortures qu’il a endurées à la suite d’une certaine représentation en février 1859. Plusieurs médecins n’ont rien compris à son état ; un dernier, après l’avoir soigné et guéri, témoigne que le mal provenait bien des coliques saturnines causées par absorption du plomb contenu dans les fards de théâtre. L’expert commis par le tribunal confirme la présence du plomb dans ces mêmes fards. René Luguet et Mlle Cico paraissent aussi à la barre : cette dernière esquive adroitement la double question du président relative à son nom et à son âge véritables et proclame que le fard en question la rendue malade, en noircissant, qui pis est, sa peau et ses bijoux. Le sieur F… et la dame D… s’entendent infliger par le tribunal trois mois de prison et 500 francs d’amende (jugement du 10 novembre 1859).

En appel devant la Cour, les choses changent de face. MMes Massu et Desmarets prononcent d’intéressantes et habiles plaidoiries au cours desquelles ils font ressortir, avec force détails historiques et techniques, ce qui peut servir à la défense des inculpés. La crise dont Darny a été la victime résulte-t-elle indubitablement d’une intoxication saturnine due à l’emploi du blanc de fard acheté par l’acteur à la maison F… ? N’est-ce pas plutôt un empoisonnement mercuriel provoqué par l’emploi d’un rouge au cinabre, rouge vendu par une autre maison et imprudemment appliqué par le comédien ? L’ignorance — bien pardonnable — de Darny, en fait de chimie ; celle — moins