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IV

Depuis de longs siècles l’homme, ou la femme, qui se produit devant le public sous un costume d’emprunt pour jouer un rôle appris par cœur, sérieux ou comique, ou déployer silencieusement son agilité, s’est cru obligé de modifier plus ou moins sa physionomie véritable. Sous ce rapport, que de nuances à analyser, depuis le masque coiffant les interprètes de Sophocle et Aristophane jusqu’à l’imperceptible voile de rouge que risque à peine sur sa face l’actrice de salon ! Entre ces deux extrêmes se distinguent le grossier peinturlurage des clowns et le savant maquillage des artistes de nos théâtres.

Nous avons tous été, dans nos classes de littérature ou d’histoire grecques, trop souvent entretenus de Thespis, de son chariot, des acteurs primitifs barbouillés de lie, etc., pour que nous en reparlions encore ici. Passons donc directement à l’âge d’or de la scène grecque. La personnalité de l’acteur, — les actrices faisant défaut, — s’éclipse complètement et le personnage représenté, quel que soit son sexe dans la pièce, est un mannequin de carnaval surmonté d’un masque à vaste perruque et reposant moins sur des chaussures que sur des échasses. L’acteur anime ce fantoche sans que, au rebours de ce qui se passe aujourd’hui, nulle partie de son corps soit visible pour les spectateurs. Des gantelets articulés cachent les mains ; de longues et larges manches voilent les bras ; une ample robe recouvre les épaules, la poitrine, le ventre capitonné et dissimule les jambes. Quelle opposition avec nos comédiennes modernes, avec nos ballerines si légèrement vêtues ! Par un curieux contraste, les Grecs qui habillaient sommairement dans les tableaux et les statues leurs déesses et leurs héroïnes ne les admettaient sur la scène que drapées dans des plis épais d’étoffes précieuses.

Nous ne voulons pas nous poser en apologiste d’une convention, qui dans nos idées d’aujourd’hui semblerait grotesque ; mais nous rappellerons, d’après les érudits, les avantages du masque de théâtre suivant les préjugés des Grecs. Eschyle, non moins habile artiste et metteur en scène qu’excellent dramaturge, s’il ne fut pas l’inventeur du masque tragique, lui avait déjà donné une forme très perfectionnée et, depuis, le masque