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bien entendu, blâme le zèle intempestif de son personnel et permet au Français de se présenter sans être décoiffé.

Dans le clergé de plusieurs diocèses, il se forme deux partis acharnés l’un contre l’autre au sujet des perruques. Celui des rigoristes s’arme de force textes des Pères de l’Eglise et des conciles. Les perruques, disent-ils, constituent en somme un déguisement, une mascarade théâtrale indigne d’un ministre des autels. Il est interdit aux clercs de porter des cheveux frisés, bouclés, poudrés ou parfumés ; or, les perruques sont par nature parfumées, poudrées, bouclées, frisées. Comment un prédicateur ainsi coiffé peut-il persuader aux femmes de son auditoire de laisser de côté poudre et tours blonds alors qu’il porte des ornemens similaires ? Comment oser cacher une tonsure qui incarne l’emblème par excellence de la cléricature ?

De certains argumens ressortent divers détails curieux. Ainsi Thiers affirme qu’un ecclésiastique portant perruque dépense pour elle de 30 à 40 pistoles par an, d’où gaspillage abusif. Souvent le clerc possède deux perruques et par un choquant contraste, c’est la moins belle dont il se coiffe le matin pour se rendre à l’église, tandis qu’il arbore la plus fraîche pour ses visites mondaines. Les trop longs poils de la perruque sont-ils-roussis lorsque le séculier lit le soir à la chandelle, ou tachés au contact de l’assiette pendant le repas, qu’il faut réparer la coiffure, tandis que son porteur est forcé de garder la chambre. Nous apprenons aussi que tantôt les perruques supprimaient toute apparence de tonsure ou couronne, que tantôt les calottes en satin, cuir, ou peau de cochon présentaient des tonsures ou couronnes fictives.

Quels textes, quelles raisons invoquaient pour leur défense ceux qu’on appelait avec mépris les « perruquets ? » Thiers dédaigne de nous l’apprendre : mais il expose longuement les tentatives des novateurs et les difficultés qu’elles ont provoquées. Parce qu’une tradition fort ancienne et très répandue alors désignait la nuance rouge comme ayant été celle des cheveux de Judas, un puissant préjugé régnait contre les malheureux doués de cheveux carotte qu’on appelait alors des « rousseaux. » Ennuyé sans doute de se voir vilipendé pour un défaut naturel dont il était certes bien innocent, un jeune chanoine de Tours arbore perruque et la ville entière se scandalise de cette licence. (Thiers n’exagère-t-il pas un peu ? ) Le