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plus qu’au gré des petits-maîtres, les cheveux naturels ne poussaient pas assez vite. On débuta, bien entendu, par adopter un terme moyen : le mélange des cheveux faux et vrais, puis, au bout de quelques années, tout le monde se rasa le chef et s’orna d’une toison d’emprunt.

Harpagon reproche à son fils Cléante de porter une jolie perruque blonde fort chère au lieu de garder des cheveux naturels « qui ne coûtent rien, » ce qui prouve que vers 1670 quelques gens âgés, économes ou originaux, conservaient l’habitude des cheveux longs, pratiquée sous la jeunesse de Louis XIII. Quoique la pièce de Don Juan soit censée se passer en Sicile, Pierrot est un vrai paysan de l’Ile-de-France, ayant fréquenté la ville et vu de loin des courtisans ; toutefois Don Juan qu’il sauve du naufrage et reçoit chez lui est le premier seigneur dont il peut examiner de près la toilette, et notre villageois remarque très bien que ses cheveux « ne lui tiennent point sur la tête, » montrant ainsi qu’une perruque à la campagne était alors une singularité assez rare.

En ce qui concerne le grand roi, arbitre naturel et suprême de la mode à cette époque, nous sommes admirablement renseignés par les lettres historiques de Pellisson. Jusqu’à l’été de 1673, le monarque se contente d’ajuster à sa tête comme complément de garniture un simple tour de cheveux ; mais au mois d’août de cette année, un coiffeur nommé Viène lui offre une perruque entière dont Louis est si satisfait qu’il lui concède immédiatement le privilège d’ornemens de cette nature, tout en confirmant les droits de deux cents confrères plus modestes de la même corporation et reconnus depuis 1659. Cette perruque trompe jusqu’aux courtisans qui sont à même d’approcher le plus près du souverain et se superpose tellement bien aux cheveux naturels que pas n’est besoin de couper ces derniers. Par exemple, comme elle ne comporte aucune tresse et que les cheveux ont été passés un à un dans la coiffe, elle coûte bon, 50 pistoles, ce qui n’empêche pas, bien entendu, les commandes d’affluer chez l’artiste, d’où renchérissement. Trente ans plus tard, Mme de Beauvilliers femme du gouverneur des enfans de France, s’informe du prix d’une belle perruque blonde destinée à coiffer le jeune roi d’Espagne Philippe V, qui s’équipe pour aller guerroyer en Italie : on lui répond qu’il s’agit de dépenser 800 livres. Eu égard à la difficulté des temps, la duchesse, avec grande raison ce nous