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arbitre entre le Roi et les protestans. On était en des brouilleries perpétuelles ; on s’épuisait en négociations vaines. La Reine perd de nouveau patience. Saint-Jean-d’Angely capitule le 24 juin. Elle quitte le camp et vient apaiser son cœur ulcéré chez son ami, mais, cette fois, à Richelieu, non plus à Coussay. L’évêque affecte une grande sérénité ; de là, il écrit à l’archevêque de Sens des lettres où il affirme que « la Reine et le connétable ne se sont jamais séparés en meilleure intelligence. » C’est une feinte. Cependant, comme le Roi quitte ces régions pour s’enfoncer dans le Sud, on le rejoint et on l’accompagne encore, et l’évêque écrit que, si la Reine trouvait un « Couzières » sur sa route, « elle en mesurerait volontiers les allées pour huit ou dix jours. » Elle va jusqu’à Blaye. Puis elle se dégoûte définitivement ; elle quitte l’armée et rentre lentement vers le Nord, par Angers.

C’est, de nouveau, la rupture complète. Luynes, voyant tout céder devant lui, est au comble de l’orgueil. Il écrit à son beau-père une lettre qui n’est qu’une gasconnade : « Quelle est la chose que Dieu ne peut quand il veut donner son assistance à un grand Prince ? Vous le voyez par tout ce qui s’est passé. Il ne nous manque que les jambes pour aller plus vite ; car elles ne peuvent point suffire au chemin qu’il nous faut faire… Il ne reste plus à M. de la Force qu’à capituler. Je ne sais pas encore de quelle farine sera le pain. M. de Rohan est à Montauban, lui, bien épouvanté, je crois, et, nous, bien résolus d’aller bientôt et courageusement lui donner l’assaut… Si les choses continuent à aller comme maintenant, nous aurons bien vite expédié le tout, et vous pouvez dire que vous avez un gendre qui n’a pas été sans vous faire honneur ; car il a exposé sa vie pour son Dieu, pour son roi, pour le devoir de sa charge… » Vantardise d’autant plus ridicule que, de l’avis commun, Luynes n’aimait pas beaucoup à s’exposer au feu.

On dirait que les succès de son adversaire ne font que roidir l’évêque de Luçon. Jusqu’alors, il avait essayé de couvrir les mécontentemens réciproques entre la Reine-Mère et le favori. Maintenant, il ne dissimule plus rien. Il semble bien qu’il a fait son deuil du chapeau. À Rome, La Cochère s’aperçoit de ce changement et se plaint de « l’excès de retenue » dans l’attitude et les démarches de l’évêque.

Mais celui-ci prétend garder, avant tout, sa dignité et son franc parler. La Reine-Mère, sur son conseil, envoie au camp