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monde et ne se propagea chez les hommes que beaucoup plus tard. En somme, cette mode ne régna au XVIIe siècle que par intermittences. Les citations des auteurs contemporains, les lettres de Mme de Sévigné notamment, en font foi. Ce ne fut que sous la Régence que toutes les têtes devinrent blanches pour un demi-siècle et plus. Mercier, en 1783, se récrie sur l’effroyable quantité d’amidon que cette mode consomme, prétendant que dans une ville comme Paris, où le plus humble marmiton se poudre à l’instar du grand seigneur, il se gaspille journellement tant de farine qu’avec cette provision, on nourrirait dix mille infortunés. La poudre elle-même n’aurait pas adhéré sans une forte application de pommade et il fallait bien aromatiser celle-ci par de l’ambre et de l’essence dont le parfum saisissait l’odorat dans les plus modestes boutiques. Parfois civette et ambre avaient peine à corriger l’odeur de fermentation peu agréable que dégageait la pâte en rancissant ; comme la poudre sans cesse répandue dans le magasin salissait tout, meubles et vêtemens, la vue ne souffrait pas moins que l’odorat.

Vers 1750, les enfans de sept ans eux-mêmes portaient la poudre comme de petits hommes. Les moines échappèrent à cette tyrannie ; les habitans de la campagne s’en abstinrent généralement d’abord, à ce qu’affirme en 1773 un historiographe des modes françaises[1]. Dix années plus tard, Mercier observe cependant que les villageoises usent de pommades sans aromates et de poudre sans odeur, ce qui prouve qu’elles ne dédaignaient pas tout à fait l’emploi de l’amidon.

Transcrivons, toujours d’après Mercier, un détail bien caractéristique. Vers la fin de l’ancien régime, et par un triste et bizarre contraste, à une de ses périodes les plus brillantes, on comptait à Paris 1 200 perruquiers maîtres et privilégiés qui employaient 6 000 garçons, sans parler de 2 000 irréguliers ou « chambrelands » qui risquaient à raison de leur situation non autorisée une visite à Bicêtre, sans parler non plus de 6 000 laquais exerçant le même emploi auprès de leurs maîtres. Comparons ces chiffres à ceux du Bottin. Actuellement on ne compte à Paris que 2 500 patrons coiffeurs patentés, et à trois « clercs » en moyenne par boutique, on n’arrive pas au chiffre de 8 000

  1. On peut dire que l’usage du bonnet local, de type variable suivant les provinces et que toutes les paysannes portaient alors, s’opposait à l’abus de la poudre parce que ce bonnet cachait en partie les cheveux.