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Tous ceux qui coopèrent à cette œuvre nécessaire, avec le même zèle, mais avec des préoccupations différentes, sont bien près de s’entendre et il ne reste que de menus retranchemens à obtenir des deux côtés pour que le monument se tienne sur ses bases en un durable équilibre.

Puissent les uns et les autres, échappant aux sombres formules dans lesquelles sont emprisonnées les questions économiques, trouver dans la pleine lumière de la vie réelle les clartés nécessaires pour élucider un problème national dont la solution relève du bon sens, et qui ne nous permet pas de méconnaître que le meilleur moyen de fortifier une collectivité, c’est de donner toute leur vigueur aux élémens qui la composent ! Associer ces divers élémens dans un esprit de commune défense par les liens souples et tenaces d’une solidarité loyalement établie, voilà le grand secret du protectionnisme de fait, dont le besoin éclate aux yeux de toutes les grandes nations depuis qu’elles sont arrivées à « se rendre compte que les grands intérêts idéaux d’un empire ne sont rien sans ses intérêts matériels, » comme le disait récemment, dans un grand discours sur la politique douanière de l’Allemagne, le nouveau ministre du Commerce prussien, M. Moeller, un industriel brusquement appelé à occuper une place toujours réservée jusqu’alors à de hauts fonctionnaires.

C’est peut-être à de tels hommes d’affaires, façonnés par le contact avec les réalités, qu’il faut demander, plutôt qu’aux grands maîtres de la doctrine, le règlement des questions économiques auxquelles est liée la fortune de notre empire colonial. C’est chez eux que l’on a quelque chance de trouver, sinon la formule, du moins la pratique d’un protectionnisme à armes défensives, qui ne prendrait pas à tâche de commencer par détruire ce qu’il est le plus urgent de protéger, disons le mot : d’un protectionnisme libéral.

Puissions-nous assister à l’accolade de ces deux mots, qui se sont si longtemps fait la guerre, — car il y a une grande part de logomachie dans ce vieux débat des doctrinaires du Protectionnisme et de ceux du Libre-Échange. Liberté ! Protection ! que de crimes commis en vos noms ! M. de Bismarck assurait qu’il n’y a rien de commun entre le Libre-Échange et la Liberté, mais il faut compter avec le redoutable et impérieux prestige des mots ; comme l’écrivait Girardin : « Tel mot fut plus puissant