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que j’usasse de la même représaille, et que je trouvasse moyen de le faire aller dans une terre de sa femme, où on lui ferait bonne chère, mais d’où il ne sortirait point ? Faites-moi le plaisir de me faire savoir les intentions de Sa Majesté là-dessus. » Le Roi n’avait pas attendu cette espèce de mise en demeure pour s’occuper de « mettre à la raison » l’époux récalcitrant ; et Louvois, quelques jours plus tard, pouvait mander à la duchesse : « Vous devez avoir appris[1] ce que le Roi a fait pour vous, dont vous avez assurément sujet d’être contente. L’expérience vous fera connaître que vous avez eu raison d’espérer en la protection de Sa Majesté. » Le duc de Luxembourg se montra fort touché de cette intervention : « Je ne saurais tarder davantage, écrit-il à Louvois[2], à vous remercier de la bonté que vous avez eue d’expliquer si bien à M. de Meckelbourg les intentions de Sa Majesté, que cela l’a rendu sage et a procuré le retour de ma sœur. Sérieusement, monsieur, vous m’avez fait un fort grand plaisir, et c’est une obligation que je mets sur le compte de celles qui m’engagent à être parfaitement à vous. »

La première pensée d’Isabelle, dès qu’elle se vit en liberté, fut de revenir à Paris, « dans l’espérance, dit-elle, de savoir de M. le duc de Meckelbourg ce qui l’a pu obliger à donner des ordres si peu conformes aux services que je lui ai rendus. » Son départ de Schwerin se fit avec la pompe dont elle aimait à s’entourer : « M. le duc de Güstrow[3], raconte-t-elle à Louvois, a fait plus de cinquante lieues pour m’offrir une réparation au nom de toute sa maison. MM. les ducs de Brunswick et de Lunebourg, avec Mme la duchesse d’Osnalniick, m’ont accompagnée fort près de Munster, après m’avoir fait les réceptions les plus magnifiques du monde dans tous leurs Etats… » Le 1er juin, elle était à Wesel, où l’attendait un message de Condé, apporté par un gentilhomme arrivé de la veille. « M. le Prince, dit-elle, me presse fort de le venir voir à Utrecht, faisant valoir que sa santé ne lui permettait pas de venir lui-même, non plus qu’à mon frère ses occupations. C’est pourquoi je m’embarquerai demain à quatre heures du matin ; et j’envoie mon équipage prendre les devans, afin de ne pas perdre un moment pour me

  1. 30 avril. — Recueil manuscrit de lettres de Louis XIV, communiqué par M. le comte de Kergorlay.
  2. Lettre du 14 mai 1673. — Archives de la Guerre, t. 304.
  3. Cousin germain du duc de Mecklembourg-Schwerin.