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revanche, il n’est soin qu’il ne prenne pour se faire bien venir de ses subordonnés, veillant au bien-être des troupes avec sollicitude, rendant aux officiers tous les services qui sont en son pouvoir, vantant avec chaleur toutes les actions d’éclat, tous les traits de bravoure, sollicitant pour ceux qu’il en croit dignes l’avancement et les récompenses. Un seul manquement le trouve impitoyable : le défaut de courage au feu. Certain lieutenant du régiment d’Auvergne s’étant montré timide au cours d’une escarmouche : « C’est peut-être le seul de tous ceux qui sont ici, s’exclame-t-il avec indignation[1], qui n’ait point voulu profiter d’une occasion avantageuse. Je l’ai fait mettre dans un cachot ; j’aurais bien envie de le faire pendre ; mais, outre que je ne le puis sans ordre, je n’aimerais pas que les ennemis mettent dans leurs gazettes qu’on avait puni un officier pour n’avoir pas fait son devoir. C’est pourquoi je suis d’avis d’étouffer celui-ci, comme un enragé, entre deux matelas. »

La mauvaise saison s’écoula parmi ces préoccupations diverses, sans que le temps permît nulle sérieuse entreprise. À l’hiver tiède et mou, brumeux, mélancolique, succédait un printemps guère moins pluvieux et presque aussi maussade. C’était pourtant l’époque où, par tradition séculaire, les combattans se réveillaient de leur torpeur annuelle et périodique, fourbissaient leurs armes rouillées, s’apprêtaient à tenir de nouveau la campagne. « Comme les animaux ont une saison, toutes les années, pendant laquelle ils font de certaines choses, les Hollandais aussi ne manquent point de se donner du mouvement dans celle où nous sommes » : c’est le langage dont se sert Luxembourg pour informer Louvois des préparatifs belliqueux qu’il voit faire à Guillaume d’Orange. Du côté des Français, l’activité n’était pas moindre. Le plan longuement étudié par Louvois paraissait à la veille de se réaliser. L’armée d’Allemagne, aux ordres de Turenne, était destinée à prévenir l’offensive des troupes de l’Empire. Une autre armée, aussi nombreuse, allait être employée au siège de Maastricht. Enfin, une trentaine de mille hommes, composant l’armée de Hollande, auraient pour mission essentielle de s’opposer au stathouder, de le retenir en Hollande pour l’empêcher de joindre ses alliés, et de l’affaiblir en détail, en le tenant constamment en alerte. C’était la tâche

  1. 17 janvier 1673. — Archives de la Guerre, t. 318.