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sûretés pour vos marchandises que pour les miennes. » — Il les enverra par la Meuse, en informant le comte de Horn, premier lieutenant du prince d’Orange, qu’il s’en remet à lui de leur sécurité. Je l’ai prié, explique-t-il à Condé, de faire monter sur nos vaisseaux « des soldats hollandais, avec d’honnêtes officiers, » lui promettant en récompense que les embarcations « qui porteront les porcelaines à Rouen en rapporteront du bon vin pour M. le prince d’Orange. » Le général du stathouder accepte le marché ; les précieuses « marchandises » circulent paisiblement sur tous les canaux de Hollande, escortées et gardées, pour comble d’ironie, par les compatriotes de ceux auxquels elles ont été soustraites. Reconnaissons, d’ailleurs, que Luxembourg n’a pas l’âme égoïste ; s’il pille quelque peu pour soi-même, il n’aurait garde de manquer à faire la part du maître : « Si je ne fais pas tout ce que je voudrais, écrit-il à Louvois[1], pour un aussi bon maître que le nôtre, j’ai du moins fait pour lui une conquête : c’est-à-dire que je donnerai au Roi une croix, de la vraie croix de Notre Seigneur, gardée ici depuis un temps infini, et donnée par un Empereur à la fondation du chapitre, avec tous les certificats. »

Tous ces faits publiquement connus rendaient difficile d’imposer aux soldats comme aux officiers subalternes une retenue, une « sagesse » exemplaires. C’est ce que Louvois néanmoins s’obstinait à ne pas admettre. Aussi le vif débat de la campagne précédente se renouvelle-t-il plus d’une fois entre l’administrateur sévère et le grand seigneur orgueilleux, l’un faisant rudement la leçon sur la discipline qu’il exige, l’autre se rebiffant d’un ton plein de hauteur, répondant, ainsi qu’il l’annonce, « par un volume de justifications à un mot de reproche, » et concluant, en fin de compte, qu’il commande des « soldats et non des capucins. » La seule chose qui l’étonne, ajoute-t-il railleusement, est « qu’on n’ait pas pillé encore bien davantage, » car « les Hollandais sont si sots qu’ils ne songent qu’à se plaindre et point à se garder. » Certains propos qu’on lui rapporte, tenus à la cour de Versailles sur la licence qu’il tolère chez ses hommes, sur « la ruine générale » où il a réduit la Hollande, le mettent dans une furieuse colère : « Je ne sais, s’écrie-t-il, ce que je ne serais point capable de faire contre telle canaille ! » En

  1. 13 janvier 1673. — Archives de la Guerre, t. 318.