Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 8.djvu/83

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

séculaire, confirmés par de récentes dispositions législatives, et qui ne sauraient être foulés aux pieds sans inconvéniens pour le bon renom de notre loyauté administrative ou tout au moins de notre esprit de suite.

Il semble que la meilleure façon de s’en tirer honorablement, ce serait de régler l’affaire par voie d’indemnité. C’est de simple justice, comme le dit fort bien un rédacteur du Temps : « La Déclaration des droits de l’homme, qu’on vient de faire afficher, dit qu’il ne peut être touché à la propriété privée que dans un intérêt public et après une juste et préalable indemnité : s’il y a intérêt public à exproprier les établissemens de Pondichéry, qu’on les indemnise ! » C’est parler aussi sagement qu’un cadi des Mille et une Nuits.

Il est bien évident que la métropole ne saurait accepter bénévolement la prolongation indéfinie d’un marché de dupe passé par erreur avec telle ou telle de ses possessions, et qu’il lui appartient, après avoir sauvegardé les droits légitimes des particuliers, de calfater les fissures par où pourrait passer la fraude ou simplement l’abus.

Il est même fort admissible de refuser aux colonies, en ce qui concerne les échanges de l’une à l’autre, une liberté absolue qui placerait la métropole dans une condition d’infériorité que rien ne justifie, car, s’il est incontestable qu’on ne saurait attenter au droit pour chaque colonie de se nourrir sur son fonds, on ne voit pas pourquoi telle ou telle d’entre elles aurait plus de titres que la mère patrie à ravitailler les autres rejetons de la souche commune.

Il faut donc féliciter M. Méline et ses amis de ne pas avoir donné à leur exposé d’autres conclusions législatives que celles qui portent sur les points spéciaux dont nous venons de nous occuper. Quant à la patente coloniale, ils en ont seulement posé le principe, mais c’est déjà trop, et nous n’attendrons pas que cette doctrine revête la forme du projet de loi définitif pour protester, comme devant un forfait exécrable, contre l’égorgement de la jeune famille coloniale par ceux-là mêmes qui lui doivent aide et protection et qui sont le plus intéressés à son développement. L’histoire traiterait comme un nouvel Ugolin l’homme d’État sans entrailles qui conseillerait à une grande nation moderne de dévorer ses enfans pour leur conserver une patrie.