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il jouissait auprès de l’Electeur, auquel il donnait, disait-on, « des conseils opposés aux intérêts de la France, » détermina Luxembourg à le sommer de regagner Utrecht, dont il était originaire : « Monsieur, lui écrivit le duc[1], j’ai su, par une voie aussi publique que celle de la Gazette d’Amsterdam, que votre nom paraissait dans les chimères dont les États Généraux veulent amuser les peuples qui restent sous leur obéissance, et, par une de vos lettres, que vous préfériez suivre leurs ordres à exécuter ceux que vous avez reçus de la part du Roi, votre Majesté à cette heure aussi bien que la nôtre. Sur quoi, j’ai bien voulu vous dire que, dans l’emploi que Sa Majesté m’a donné en cette province, je crois être obligé de ne pas souffrir qu’un homme, qui en est comme vous, ait d’autres attachemens que ceux de Sa Majesté, sans en faire un exemple qui corrige les gens tombés dans de pareilles fautes. C’est ce que je ferai à regret, mais dont néanmoins je ne puis me dispenser, si vous ne rentrez bientôt dans le devoir de sujet de Sa Majesté… J’attendrai pourtant votre réponse avant que de rien ordonner sur ce qui vous regarde ; mais je vous prie qu’elle soit prompte. » La réplique de l’ambassadeur fut courageuse et noble : « Le sacrifice de mes biens au roi de France, dit-il, est peu de chose pour un si grand prince. Je lui sacrifierais volontiers ma vie, pour le bien de ma patrie. » Cette « rébellion, » comme l’appela Luxembourg, fut cruellement punie. Un détachement de cavalerie reçut mission de raser sa maison, brûler ses fermes, couper ses bois[2], détruire de fond en comble toutes ses propriétés, violer même, dit-on, la sépulture de ses ancêtres. « Hoc quidem durum est, sed levins fit patientiâ quod corrigere nefas est. — Cela est dur, mais la patience rend plus légers les maux qu’on ne peut empêcher. » C’est la seule plainte que ce traitement put arracher au placide Hollandais.

Au reste ces républicains, élevés, quoi qu’ils en eussent, au rang de « sujets » du roi de France, ne recueillaient de leur nouvel état que les charges sans les profits ; rien n’était fait pour concilier leurs cœurs à cette patrie imposée par contrainte. C’est une véritable Terreur qui règne dans la ville d’Utrecht. En dépit du désarmement opéré dans les premiers temps, des perquisitions ordonnées dans les greniers et dans les « caches »

  1. Annales des Provinces-Unies, par Basnage, t. II.
  2. Lettre de Luxembourg, du 21 février. — Archivés de la Guerre, t. 320.