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écrit-il d’Utrecht à Louvois, qu’il y avait ici une fort méchante canaille. Mais, outre cela, je n’ai jamais vu de semblables brutaux ; et je ne fais pas de difficulté de vous dire qu’après le séjour que j’ai fait en Suisse, il me fallait ce séjour-ci pour me consoler, et me donner une meilleure opinion de ma nation. »

Ce mépris, au surplus, eût-il été mieux justifié, rien n’excuserait les moyens employés pour décourager la Hollande et briser sa persévérance. Le système de la destruction et des incendies méthodiques, dans les villages qui avoisinent Utrecht, sévit avec une nouvelle violence. Tout y sert de prétexte : refus ou impuissance de s’acquitter des taxes, soupçon de « mauvais sentimens » à l’égard des envahisseurs, ou simple amusement de vengeance contre les chefs du parti de la guerre. La maison de l’amiral Tromp est incendiée par jeu, pour le plaisir d’irriter sa colère : « Je ne me contenterai pas de cela, dit allègrement Luxembourg ; car j’enverrai couper ses arbres, qui est ce qui lui tient le plus au cœur. » Si d’aventure les habitans, au cours de ces exécutions, sont « grillés » avec leur logis, on ne se trouble pas pour un aussi mince incident. Le terrible Mélac est un jour envoyé pour châtier un village, où l’on avait tiré sur un parti français. Il ne trouve rien de mieux que de mettre le feu aux quatre coins du bourg : « Comme ce fut la nuit qu’il y arriva et que les maisons de ce pays sont fort combustibles, rien ne s’est sauvé de ce qui était dedans, chevaux, vaches, et, à ce qu’on dit, assez de paysans, femmes et petits enfans. » Une autre fois, dans le bourg de Verden, le même Mélac « brûle cinq génisses et plus de cinquante bestiaux, aussi bien que les gens du logis. » Et l’on arrive au point que l’on se trouve, dit Luxembourg, « embarrassé pour avoir de quoi brûler, car il n’y a plus que les endroits dont les chemins sont inaccessibles. »

Les citoyens des villes ne sont guère plus favorisés. Par un étrange abus de pouvoir, sous prétexte que la province s’était soumise à Louis XIV, les habitans en sont considérés comme sujets du Roi Très Chrétien, obligés à la résidence dans leur lieu d’origine, sous peine d’être punis comme traîtres et comme déserteurs. L’aventure du sieur d’Amerongen[1], ambassadeur des États Généraux auprès de l’Électeur de Brandebourg, offre de ce système un caractéristique exemple. Le grand crédit dont

  1. Godard Adrian, baron van Heede, seigneur d’Amerongen, mort à Copenhague en 1691.