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l’Empire. C’est peut-être la première fois qu’apparaît nettement dans l’histoire le rôle politique de la presse, que l’on prend sur le vif la redoutable action de cette puissance nouvelle, qui, un siècle plus tard, changera la face du monde.

La légende créée de la sorte, ravivée par l’étrange procès dont j’aurai par la suite à scruter le mystère, prit corps, et survécut aux circonstances qui lui avaient donné l’essor. Dans les simples récits qui se transmettent de bouche en bouche, dans les naïves chansons que l’on murmure le soir à la veillée, Luxembourg demeura, longtemps après sa mort, pour les populations d’Allemagne et de Hollande, comme l’effrayant symbole de ce que l’invasion, la conquête et la guerre ont de plus exécrable ; et l’on verra plus tard, par un singulier phénomène, l’imagination germanique confondre peu à peu le personnage de Faust avec le destructeur de Swammerdam et de Bodegrave, et forger enfin de toutes pièces un héros fantastique, à la fois serviteur et mystificateur du diable.


V

L’expédition de Bodegrave clôt pour quelques mois la série des opérations militaires ; et, dans les deux camps, s’inaugure une ère de calme et de repos forcé. La douceur constante de l’hiver, — douceur, au dire des Hollandais, « quasi miraculeuse, » et où beaucoup crurent voir une protection divine — interdit aux Français toute nouvelle tentative pour achever la conquête à la faveur des glaces. Le prince d’Orange, de son côté, instruit par de cuisans échecs, recueille et organise ses forces avant de reprendre la lutte. Vainement, pour « amuser » l’espoir de ses compatriotes, fait-il courir le bruit, comme écrit Luxembourg, qu’il « se prépare à faire le diable à quatre, » à marcher sur Utrecht avec une grosse armée et à « couper la gorge » à sa médiocre garnison. Son adversaire, sans s’émouvoir, traite ces menaces de « pure folie » et de « visions de don Quichotte. » Les Hollandais, dit-il ailleurs, « font de grandes démonstrations apparentes de vouloir faire quelque entreprise ; je pense qu’on pourra dire sur cela : parturiunt montes, et attendre sans s’alarmer le ridiculus mus. »

Aussi, tout en demeurant sur ses gardes, — « car les gens sages, écrit-il, nous apprennent qu’il ne faut point mépriser ses