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nuit de confusion et d’épouvante telle qu’on ne la saurait décrire ! » A La Haye, tous les citoyens furent armés et embrigadés, artisans, négocians, avocats, procureurs, notaires, gens de justice, « de manière, écrit le gazetier, que nous aurons la milice la plus belle et la plus vaillante du monde. » Six cents hommes de marine furent chargés de briser les glaces si le froid venait à reprendre. L’illustre Tromp, au dire de Luxembourg, fut nommé « amiral d’eau douce, » c’est-à-dire commandant d’une flottille de barques légères, qui circuleraient sur les canaux pour contribuer à la défense.

Malgré ces apprêts belliqueux et la nouvelle qu’on sut de l’évacuation de Bodegrave, Guillaume d’Orange, quand, le 4 janvier, il rentra dans sa capitale, trouva la population dans un état inouï d’effervescence. La colère, l’exaspération, la peur aussi, touchaient à la folie. On n’entendait que plaintes, imprécations, menaces, tant contre les Français, auteurs de tant de maux, que contre les chefs de l’armée, dont « l’impardonnable lâcheté » n’avait même point tenté quelque semblant de résistance, contre le stathouder lui-même, qui les abandonnait pour chercher au loin aventure, et dont les mécontens « disaient le diable à haute voix par les rues. »

Cette fois encore, la tactique savante de Guillaume, mélange d’énergie et d’astuce, calma l’indignation publique et fit tourner l’orage à son profit. Pour apaiser les premières fureurs de la foule, il sacrifia le commandant du fort de Nieuwerbrug, ce colonel Moïse Paynwin, qui, somme toute, avait imité l’exemple de son chef, le comte de Kœnigsmarck. Le jour même de son arrivée, il le fit arrêter et jeter en prison, avec deux capitaines, et l’on entama son procès. Le colonel, quinze jours plus tard, fut traduit en conseil de guerre, et condamné à mort pour avoir déserté son poste. Il fut décapité, le 20 janvier, à Alfen, et mourut, disent les Relations, « avec une grande constance, ayant fait une assez longue harangue pour se justifier envers le peuple des choses dont il était accusé. » Peu s’en fallut que Kœnigsmarck ne subît un sort analogue. Poursuivi, assiégé dans sa propre maison par une populace en délire, il plaça sur le seuil quelques barils de poudre, et défia les plus acharnés de continuer leur chasse. Cette hardiesse le sauva ; la police de Guillaume eut le temps d’arriver ; on ouvrit une enquête, que l’on fit traîner en longueur. Le stathouder, avec le temps, vint à bout de