Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 8.djvu/817

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

debout. « Plus de deux mille maisons, » au témoignage de Luxembourg lui-même, furent ainsi réduites en cendres, avec ce qu’elles contenaient de richesses de toutes sortes. De ces bourgs florissans, hier tranquille séjour de la vieille bourgeoisie batave, « une seule demeure, » dit-on, fut respectée par l’incendie, et se dressa parmi les ruines, tragique témoin d’une si grande catastrophe. Au cours de cette exécution, raconte encore Luxembourg à Louvois[1], « j’aperçus de l’autre côté du Vieux-Rhin force vaisseaux qui étaient tout près des écluses. Je ne voulus pas les laisser dans leur entier, et j’y fis marcher des hommes détachés, qui brûlèrent vingt-six grands vaisseaux chargés de marchandises. Je ne me retirai point que je ne les visse tous consumés. » Cinq belles frégates de guerre, arrêtées par les glaces, subirent un sort pareil. Vingt millions de florins, ce fut le chiffre auquel on évalua les pertes hollandaises.

Le 30 décembre, à quatre heures du matin, commença le mouvement de retraite. Le retour à Woerden ne fut guère plus aisé que la marche en avant. Les digues, sur certains points, étant entièrement submergées, il fallut cheminer avec de l’eau « jusqu’à mi-corps et quelquefois jusqu’aux aisselles. » Plusieurs hommes s’y noyèrent ; soldats, officiers, généraux, tous n’atteignirent au but qu’à force d’énergie et parmi de cruelles souffrances. Vingt-quatre heures de retard, et le passage n’était plus praticable. Le bruit courut à Amsterdam que Luxembourg, étant tombé dans l’eau, s’était « cassé une jambe et blessé en divers endroits du corps, » et que l’on avait dû « le rapporter sur un brancard[2]. » Sa blessure, en tout cas, fut légère et n’eut point de suites, car nous le voyons le lendemain, à peine arrivé à Woerden, s’embarquer sur un frêle canot et, dans cet équipage, voguer jusqu’à Utrecht, où sa rentrée eut un air de triomphe. De son expédition il rapportait quelques drapeaux, une vingtaine de canons, quatre cents prisonniers. Deux mille cadavres hollandais gisaient sur les lieux dévastés. Tout le pays, aussi bien que l’armée ennemie, mande le grand Condé à Louvois, étaient « consternés d’épouvante. »

  1. 6 janvier. — Archives de Dijon, F. Thiard.
  2. Lettre adressée d’Amsterdam an baron Lisola. — Affaires étrangères. Correspondance de Hollande, t. 93.