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de Hooghe, ne laissent rien ignorer du détail de ces scènes d’horreur : massacres et viols, dévastations faites à plaisir, double ivresse du vin et du sang, tout ce que la guerre peut offrir de plus sinistre et de plus lamentable. Pour terrifians qu’ils soient, ces tableaux ne sont point chargés. Le jour, en se levant, n’éclaira que maisons en cendres, débris rouges et fumans, cadavres calcinés épars parmi les ruines. Il s’en fallut de peu que les auteurs-de ces excès n’en devinssent les premières victimes. Quelques soldats, inconsciens du danger, mirent le feu aux maisons qui bordaient le canal du Rhin ; les flammes se propagèrent, gagnèrent le pont de bois qui reliait ce canal à la grande chaussée de Bodegrave. Vainement, dès qu’on s’en aperçut, s’efforça-t-on d’arrêter l’incendie : une des piles du pont s’effondra, et Sourches, avec ses 5 000 hommes, se vit, en un clin d’œil, coupé du corps d’avant-garde, « sans aucune nouvelle du général ni des maréchaux de camp qui étaient passés avec lui, les deux tiers de l’armée groupés autour de lui dans une extrême confusion, » lui-même ne sachant que résoudre pour sortir de ce mauvais pas. Comme il délibérait, on vit à l’horizon, sur le large canal du Rhin, quatre grandes frégates hollandaises « qui venaient à toutes voiles. » Leurs canons, une fois à portée, allaient balayer cette masse d’hommes postés à découvert, sans artillerie pour donner la réplique.

Sourches, en cette passe critique, fit preuve de cœur et de sang-froid. Une estafette franchit le canal à la nage, courut avertir Luxembourg de ce qui se passait. Pendant ce temps, cent grenadiers, pris parmi les plus forts tireurs, occupaient un moulin surplombant le canal, arrêtaient par un feu nourri la marche des frégates. D’autres furent employés à réparer, tant bien que mal, le pont à demi consumé, à jeter des planches et des claies sur l’intervalle béant. L’ordre du général en chef fut apporté sur l’entrefaite. Luxembourg commandait de passer coûte que coûte, « fût-ce au milieu des flammes, » et de le rejoindre à Bodegrave. Devant cette injonction, Sourches n’hésita plus. Le premier, pour servir d’exemple, il traversa « la route de feu ; » l’armée s’ébranla sur ses pas, et tous défilèrent en bon ordre sur les poutres brûlantes qui craquaient sous leurs pas, dans le fracas des débris enflammés qui pleuvaient autour de leurs têtes. Sauf une cinquantaine d’hommes noyés, écrasés ou brûlés, le corps arriva sain et sauf de l’autre côté du canal, et Luxembourg, peu