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ses troupes. Les vainqueurs entrèrent sur ses pas, se répandirent dans les rues de la ville, massacrant les fuyards, et ne donnant guère de quartier : « Le nombre des prisonniers est petit, écrit Luxembourg à Louvois, parce qu’on en tua plus qu’on ne s’amusa à en prendre. »

Quelques minutes suffirent pour ce succès, qui nous coûtait à peine une centaine d’hommes hors de combat. Le premier soin de Luxembourg fut de faire réparer le pont sur le Vieux-Rhin et de s’en assurer la garde. Le second ordre qu’il donna fut de livrer aux flammes les plus belles demeures du pays, pour imprimer « un salutaire effroi » dans l’âme du peuple de Hollande. Il ne cache point, d’ailleurs, le divertissement qu’il y trouve : « Je vous avoue, dit-il[1], que je pris plaisir à faire brûler devant moi la maison du prince d’Orange, et celle de son favori le Rhingrave, qui étaient deux petits châteaux les plus jolis du monde… Par malheur, l’une des maisons appartient à une fille, dont nous faisons la guerre à M. Stoppa, parce que c’est la seule qu’il ait vue, — et peut-être une fois ou deux, — depuis que nous sommes à Utrecht. Mais, au lieu que cela m’ait fait une affaire avec lui, il veut donner pourboire à celui qui l’a grillée. » Louvois, contant cette histoire à Condé, ne bouffonne pas moins agréablement : « On mit, lui écrit-il, le feu dans tout le village, et l’on grilla tous les Hollandais qui y étaient, dont on ne laissa pas sortir un seul des maisons. » Ce que Luxembourg, au surplus, confirme peu après dans les termes suivans : « Voici deux tambours des ennemis qui viennent répéter[2] un colonel de grande considération parmi eux. Je le tiens en cendres, à cette heure, aussi bien que plusieurs officiers que nous n’avons point et qu’on nous redemande, qui, je crois, ont été tués à l’entrée du village, où j’en vis d’assez jolis petits tas, consumés par les flammes, qui brûlèrent aussi bien des gens cachés dans les maisons. »

Ainsi dirait-on qu’à plaisir il s’amuse à ternir sa gloire, à souiller cyniquement l’éclat d’une action héroïque. Il met à étaler sa rigueur et sa dureté d’âme la complaisance que d’autres, à sa place, mettraient à les dissimuler. Reconnaissons, d’ailleurs, que ce n’est pas une simple forfanterie ; trop fréquemment, dans ce récit, d’effroyables excès, des cruautés

  1. Lettre du 9 janvier 1673. — Archives de Dijon, F. Thiard.
  2. Réclamer.