Page:Revue des Deux Mondes - 1902 - tome 8.djvu/807

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Haye, peut-être même, qui sait ? pousser aux portes d’Amsterdam, terminer d’un seul coup la conquête des Provinces-Unies. A moins d’un miracle du sort, la Hollande, cette fois, paraît bien perdue sans ressources.

La conservation des deux villes qui demeuraient comme le suprême asile de l’indépendance hollandaise, La Haye et Amsterdam, était depuis six mois le grand souci du prince d’Orange, l’objet principal de ses soins. Retranchemens, forts et palissades s’accumulaient sur les avenues, couvraient les « têtes » de toutes les digues ; pendant l’automne, « plus de 100 000 paysans, » recrutés de vive force, y avaient, disait-on, travaillé nuit et jour. Un seul chemin direct, par le fait de l’inondation, permettait à l’armée d’Utrecht de s’avancer vers ces régions : la large digue qui, de Woerden jusqu’à la petite ville d’Oudshorn, côtoyait le cours du Vieux-Rhin. Aussi là se dressaient les plus redoutables obstacles. Trois grands camps retranchés en défendaient l’accès. Le plus voisin d’Utrecht était le fort de Nieuwerbrug, que l’on nommait « le fort d’Orange, » construit et protégé selon toutes les règles de l’art, triple enceinte de remparts, palissades « d’une grosseur énorme, » fortins, bastions, fossés, chemins couverts ; un ensemble d’ouvrages si savant, si bien entendu, que Luxembourg, lorsqu’il y pénétra, « en fut frappé d’admiration. » A quelques milles plus loin, et sur la même chaussée, se dressait la ville de Bodegrave, que Guillaume avait prise longtemps comme quartier général, et dont l’épaisse muraille cachait une nombreuse garnison ; enfin, en remontant encore « une demi-lieue, » on rencontrait le bourg de Swammerdam, entouré d’une ceinture de canaux larges et profonds, qui en faisait, dit Luxembourg, « le plus beau poste du monde, » capable, avec un bataillon, « d’arrêter une armée entière[1]. »

Le commandement en chef de ces points fortifiés et la défense générale du pays étaient confiés, pendant l’absence du stathouder, au comte de Kœnigsmarck, gentilhomme d’origine suédoise, vieil homme de guerre blanchi sous le harnais, et qu’on disait « habile en son métier. » L’arrivée redoutée du froid et de la glace l’avertit que l’heure était proche où il allait falloir déployer ses talens, et, dès le premier jour, il disposa toutes choses en vue d’une sérieuse résistance. « Le bruit,

  1. Lettre du 3 janvier 1673. — Archives de Dijon, F. Thiard.