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soit plus heureuse que celles qui l’ont précédée ! L’Irlande a cherché d’abord à conquérir son indépendance à main armée. Elle a cherché ensuite, avec O’Connell et Parnell, à gagner sa liberté par l’agitation parlementaire et la lutte constitutionnelle. Elle cherche maintenant à s’affranchir psychologiquement, à reconstituer moralement sa nationalité, persuadée qu’une fois reformé l’esprit public, une fois reconquis le sentiment national avec tout ce que ce sentiment comporte de foi patriotique, de force de caractère et d’ardeur à l’action, elle trouvera plus aisément les voies de la vraie prospérité, et qu’un jour même viendra où le home rule, objet présent de ses plus ardens désirs, ne lui apparaîtra peut-être plus comme une nécessité aussi essentielle et primordiale de son existence nationale. En attendant, on verra sans doute se prolonger l’agitation politique et parlementaire, parallèlement au mouvement gaélique, car c’est un des traits de la situation actuelle que l’Irlande ne peut se passer ni de politique ni de politiciens. Pendant les dix années de calme qui ont suivi la mort de Parnell, l’Irlande s’est recueillie, s’est adonnée à cette œuvre de reconstruction nationale dont nous avons essayé de fixer les traits, et dont les progrès sont assez avancés pour qu’il n’y ait plus rien à redouter maintenant d’une reprise probable. — et prochaine, — de l’agitation purement politique. Aujourd’hui, l’ère du recueillement national est close, le succès du mouvement gaélique semble assuré pour l’avenir, l’agitation peut reprendre, elle reprend en effet : voici d’ores et déjà le parti parlementaire irlandais reconstitué, l’ancienne Land league ressuscitée sous le nom d’United irish league, le gouvernement anglais prêt à rentrer dans les voies de la coercition, et tout porte à croire que, d’ici peu, nous reverrons, soit en Irlande, soit au palais de Westminster, des scènes qui, pour être renouvelées de celles d’il y a vingt ans, n’en seront peut-être pas moins tristes…


Louis PAUL-DUBOIS.