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celtique que s’est initié ce mouvement, il y a quinze ou vingt ans. L’Irlande avait déjà eu, sans doute, au cours du XIXe siècle, des savans pour mettre en lumière les trésors du temps de sa splendeur littéraire, ses légendes et ses poèmes mythologiques, héroïques ou ossianiques ; les noms d’O’Curry et d’O’Donovan jouissaient, avant le milieu du siècle, d’une célébrité européenne, mais ces savans vivaient en quelque sorte isolés en Irlande, sans que leurs travaux eussent attiré la curiosité, forcé l’attention du pays qu’épuisaient alors la famine et l’agitation. Matthew Arnold conte à cet égard une anecdote bien significative. Le grand poète Th. Moore, étant allé voir O’Curry, trouva son ami au travail, avec l’archéologue Pétrie, devant une collection de vieux manuscrits irlandais, le Livre de Ballymote, le Livre jaune de Lecan, les Annales des quatre maîtres : étonnement du poète, qui n’avait jamais entendu parler de ces documens, et qui, s’en étant fait expliquer le caractère, dit gravement : « Pétrie, ces volumes n’ont pas été écrits par des sots ni dans de sots desseins ; les ignorant, je n’avais pas le droit d’écrire mon Histoire d’Irlande. » — Depuis une vingtaine d’années au contraire, un vif courant populaire s’est porté vers l’étude, la traduction, la vulgarisation des anciens textes, et vers la mise en valeur des richesses inexploitées du folklore. Pour ne citer qu’un exemple, M. Douglas Hyde a passé des années dans le comté de Roscommon, d’où il est originaire, à recueillir de la bouche des paysans les contes et chants inédits, vieux ou récens, dont il a composé déjà une douzaine de volumes, notamment ses admirables Chants d’amour du Connacht. C’est là une veine imaginative extraordinairement riche qui s’est ouverte à la littérature en Irlande, à la littérature anglo-irlandaise d’abord, toute prête à y creuser, puis aux aspirations renaissantes de la littérature proprement irlandaise.

On sait que la littérature proprement irlandaise, — j’entends en langue irlandaise, — après une période d’éclat aux temps du fondateur de l’irlandais moderne, Geoffrey Keating[1], et de ses successeurs, avait fait place, vers la fin du XVIIIe siècle, à une littérature irlandaise en langue anglaise, — disons anglo-irlandaise, selon le terme consacré, — laquelle s’est, au cours du XIXe siècle, sensiblement éloignée des traditions irlandaises et rapprochée des modèles anglais, des exigences britanniques. Thomas

  1. 1570-1640.