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d’anglicisation alors qu’elle était sur le point d’aboutir. Or, pour tuer la langue irlandaise, — cette langue inutile, sans valeur éducatrice comme sans usage pratique, — quel plus sûr moyen que de l’exclure de l’enseignement ? Pratiquement, c’est donc sur cette question de l’enseignement de l’irlandais dans les écoles et collèges que devait porter la lutte, et qu’a porté la lutte en effet, entre les anticeltistes de Trinity College, qui veulent angliciser l’éducation, et les partisans de la renaissance gaélique, représentée par les chefs de la Ligue, qui veulent nationaliser l’éducation comme le reste : lutte dont l’issue, en fin de compte, doit être l’échec ou le succès final du mouvement gaélique en Irlande, la formation d’une prochaine génération d’esprit national ou d’esprit antinational. Il faut savoir d’ailleurs que, sur ce terrain spécial, l’anticeltisme irlandais avait et a encore, par la situation officielle de ses principaux champions, une situation privilégiée, prépondérante, par rapport à celle de ses adversaires.

Imaginons, pour avoir une idée de l’organisation de l’enseignement en Irlande, un système d’établissemens privés, écoles et collèges, — je passe sur quelques établissemens « modèles » gérés par l’Etat, — qui reçoivent du Trésor, s’ils se soumettent aux règlemens et aux programmes, des subventions fort importantes et calculées en majeure partie d’après les résultats obtenus par chaque école ou collège aux examens ou inspections périodiques ; puis, à Dublin, pour l’élaboration des règlemens, des programmes, et la répartition des fonds, deux Conseils suprêmes, deux boards, l’un pour l’enseignement primaire (national board), l’autre pour l’enseignement secondaire, tous deux organisés à l’anglaise, composés de personnages influens, à mandat gratuit, que désigne à vie le vice-roi d’Irlande et parmi lesquels l’Orangisme, intellectuel ou politique, est fortement représenté. C’est devant ces deux Conseils souverains, peu sympathiques par nature à la cause du celtisme, que devait se jouer la partie entre la Ligue et Trinity College ; et, chose curieuse, c’est la Ligue qui a gagné la première manche en obtenant, il y a deux ans, grâce à une forte pression de l’opinion, la liberté presque complète, avec les subventions de droit, pour les classes d’enseignement de l’irlandais dans les écoles primaires, — enseignement qui jusqu’alors était resté entravé par mille détails et règlemens prohibitifs. — L’anticeltisme, il est vrai, a pris sa revanche l’an dernier : à la suite de la nomination de M. Mahaffy comme