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fellow de Trinity College. Ressusciter artificiellement le vieux langage irlandais ? Ce serait à ses yeux « un pas en arrière, un retour aux âges de barbarie et à la Tour de Babel ; » ce serait une chose « déraisonnable, » « déshonnête, » si ce n’était par-dessus tout une chose « impossible. » Le mouvement gaélique actuel, à entendre M. Mahaffy, n’est qu’un jouet pour le peuple, un moyen de tromper sa faim, imaginé par des gens qui ne cherchent qu’à accentuer l’hostilité entre l’Irlande et l’Angleterre : « les nationalistes irlandais savent bien que cette « séparation » qu’on leur a refusée n’est qu’une affaire de temps, pourvu qu’on sache entretenir, développer l’opposition de race et de sentiment entre les deux peuples en y ajoutant une opposition de langage. » — Quant à ce qu’on nomme la littérature irlandaise, M. Mahaffy, devant la commission d’enquête, n’a pas d’expression assez forte pour la condamner : il sait, par des gens « compétens, » qu’il n’y a pas un texte irlandais, hors les textes religieux, qui ne soit « indécent ou bête (silly). » Son collègue M. Atkinson, professeur de philologie à Trinity College, l’appuie de son autorité en déclarant toute cette vieille littérature « insupportablement basse de ton, dégradante, choquante. » « Gardez-vous, dit-il, de mettre jamais vos enfans à son contact ! » Et il conclut sur cette phrase vraiment extraordinaire dans la bouche d’un philologue : « Toute espèce de folklore est d’ailleurs abominable au fond ! »

L’effet produit par ces déclarations ne fut pas tel que l’attendaient leurs auteurs. « Leur absence même de modération détruit leur valeur, et ce serait leur faire trop d’honneur que de les réfuter, » répondit, dans une lettre rendue publique, M. le professeur Zimmer, de Greifswald[1], l’un des philologues du continent dont le parti « gaélique » d’Irlande invoqua le témoignage, avec celui de MM. Dottin, Windisch, Stern, H. Pedersen, etc., pour repousser l’attaque, et qui tous rendirent plein hommage, à l’encontre de MM. Mahaffy et Atkinson, à l’ancienne littérature d’Erin. La campagne avait en réalité un objet beaucoup plus politique que littéraire. Ce qu’on voulait, c’était « tuer sous le ridicule, » en tuant la langue irlandaise elle-même, ce mouvement gaélique qui venait si malencontreusement, à la onzième heure, entraver la grande œuvre

  1. Aujourd’hui professeur de langue et littérature celtiques à Berlin.