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seulement le bon accent, la musique de la langue, mais l’esprit et les traditions de l’ancienne culture littéraire irlandaise, dont ces vieux paysans, qui se transmettent de génération en génération les poèmes et les légendes d’autrefois, sont à bien des égards les plus fidèles gardiens. L’été encore, on organise des seilge, excursions faites en commun aux lieux historiques, avec divertissemens nationaux ; l’an dernier, un seilg à Galway réunit à lui seul plus de deux mille pèlerins. — Dans les soirées d’hiver, il y a dans chaque branche des réunions d’instruction périodiques : conférences (seanchus) suivies de discussion sur des sujets irlandais, concerts (sgoruidheacht) avec chœurs, danses et chants irlandais, et ceilidhe, réunions sans apprêt, renouvelées des anciennes assemblées villageoises, où la causerie sérieuse alterne avec la musique et le « récit, » j’entends l’histoire ou la nouvelle non pas lue, mais contée, selon la coutume populaire, par l’auteur ou l’amateur. — Enfin, chaque année, la Ligue a ses concours littéraires, d’abord les concours locaux organisés par les branches sous le nom de Feis, puis le festival national ou Oireachtas irlandais, lequel se tient annuellement à Dublin au mois de mai, en grande pompe, en souvenir d’une institution florissante dans le lointain passé artistique de l’Irlande, comme l’Eisteddfod gallois ou le Mod écossais. On assiste là, ou l’on prend part, à des concours de poésie irlandaise, d’éloquence irlandaise, de comédie irlandaise, d’essais littéraires, chants, danses et récits irlandais, intéressans presque toujours, parce qu’ils témoignent chez les auteurs et les exécutans, — tous amateurs, bourgeois ou paysans, — d’un réel goût littéraire, d’un sentiment juste et fin, et d’une parfaite absence de vulgarité, de grossièreté. Remarquez que, là comme ailleurs, la Ligue mêle savamment dans ses moyens d’action l’amusement, le travail et la propagande : c’est l’une des causes de son succès.

Tout cela montre assez le sérieux du mouvement et la force de son action sur le peuple : le plus difficile est fait, — c’était le commencement, — et maintenant la renaissance gaélique marche à grands pas vers le succès. Chaque mois, le nombre des branches de la Ligue s’accroît de vingt à vingt-cinq. Elle a vendu, l’an dernier, quatre-vingt mille fascicules de l’ouvrage d’O’Growney (première partie) ; actuellement, elle en vend douze mille par mois. Elle a peu d’argent, et l’on doit reconnaître que les souscriptions que lui adresse le public sont minimes par rapport à celles qui