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l’anglicisation ne fera que les « dénationaliser » sans leur donner un nouvel état civil et en les laissant à l’état de « métis, » — le mot a été prononcé par des Irlandais, — de non-classés, enfans perdus de l’histoire, sans avenir comme sans passé : pour l’Irlande d’aujourd’hui, l’anglicisation ne peut signifier que la décadence.


II

Il n’y a guère qu’une vingtaine d’années que des esprits observateurs commencèrent en Irlande à prendre conscience des dangers que faisait courir à la nation le « cancer » de l’anglicisation, et à concevoir la nécessité d’y remédier ; la nécessité de libérer l’âme irlandaise du joug intellectuel de l’Angleterre, et de « nationaliser » à nouveau l’esprit et le cœur de l’individu, ses idées, ses sentimens, ses mœurs. Mais comment opérer cette reconstruction nationale ? Comment rattacher le pays à ses traditions et à son passé ; comment lui refaire une vie mentale et morale propre ; comment ressusciter en lui cette idée de nationalité qui s’effaçait peu à peu ? N’est-ce pas par la perte du vieux langage irlandais qu’avait autrefois commencé le travail d’anglicisation ? Et n’est-ce pas alors par la reprise de ce langage que devait commencer le travail de la renaissance irlandaise ? Telles furent les pensées d’une petite élite d’Irlandais patriotes, hommes de cœur et de talent, imbus des doctrines « nationales » que Th. Davis avait prêchées quarante ans avant et qu’au milieu des souffrances de la famine, du fenianisme et de la lutte agraire, l’Irlande avait depuis lors quelque peu oubliées : citons parmi eux le nom d’un descendant d’une vieille famille protestante de Roscommon, M. Douglas Hyde, savant celtiste et folkloriste, poète de mérite en langue anglaise et plus encore, disent les connaisseurs, en langue irlandaise, homme d’action, en outre, qui sut répandre les idées nouvelles et, le jour où le terrain se trouva prêt, donner corps au mouvement en fondant, en 1893, avec l’aide de ses amis de la première heure, la grande organisation connue sous le nom de « Ligue gaélique. »

La Ligue gaélique, — en qui l’on ne songe pas ici à enfermer le mouvement actuel de la renaissance irlandaise, mais que toutefois l’on peut prendre comme un fidèle représentant des idées générales qui président à ce mouvement, — la Ligue gaélique a pour but, âne voir que ses statuts, « la préservation de